L'AFRIQUE CENTRALE POST-ABBÉ GRÉGOIRE Shimbi-Kamba Katchelewa Conférence donnée dans le cadre du colloque FINIR LA RÉVOLUTION de la Chaire unesco-uqam sur l'étude des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique. L'Abbé Grégoire a soutenu l'idée d'établir des colonies à la côte occidentale de l'Afrique les considérant comme une voie sûre pour " extirper l'horrible trafic des nègres " vers l'Amérique, pour constituer " des sociétés politiques de nègres libres ". Il soutint tout comme l'ensemble de membres de la " Société des Amis des Noirs " que tous les êtres humains naissent libres et égaux en droit et de ce fait qu'aller à l'encontre des principes de liberté et d'égalité lorsqu'ils sont destinés aux pauvres, aux Noirs et aux sang mêlé équivaut à anéantir la " déclaration des droits de l'Homme (1)" ; la liberté et l'égalité en droits devaient être étendues à tous par-delà l'importance de la richesse, la couleur de la peau ; la modernité a été acquise pour être partagée universellement. C'est cet aspect de son militantisme qu'il faut rattacher à notre idée de l'après-Grégoire. Et nous laissons de côté toutes les considérations faisant de lui un assimilationiste ou un impérialiste culturel, considérations pouvant faire l'objet d'un tout autre débat. Ainsi, par le titre " l'Afrique centrale post-Abbé Grégoire ", il faut entendre " ce qu'il est advenu en Afrique centrale de la lutte ayant été menée par l'Ami des Noirs, l'Abbé Grégoire ", " ce que les États de cette partie du monde ont fait des valeurs de la modernité ". En tant que telle, la question de savoir ce que l'Afrique a fait des valeurs léguées par la Révolution française est à la mode depuis plus de vingt ans. Elle est revenue de manière récurrente, s'exprimant généralement à travers des préoccupations politico-économiques ponctuelles des États post-coloniaux. Face au constat de la stagnation politico-économique qui a caractérisé l'Afrique centrale malgré tout son potentiel naturel, il s'est manifesté moins la question de savoir où en est la modernité que la préoccupation de tenter d'expliquer cette stagnation. On se serait attendu à ce que, un siècle et demi après la mort de l'Abbé Grégoire, les humains vivent une ère tout entière de libertés et de droits, une ère où personne n'est contrarié à cause de ses faiblesses ou ses différences ; on se serait attendu à ce que les colonies deviennent des pays autonomes et imprégnés de nobles principes modernes. Mais tel n'est pas le cas et cela suscite bien des questions. Aussi, en 1994, le cas du surprenant génocide rwandais ou, en 1996, le spectacle révoltant de la guerre de " libération " ayant pris naissance à l'Est du Zaïre et ayant fait sur son passage des millions de morts, ont-ils suscité des questions à la hauteur des horreurs observées : qu'est-ce qui explique cette barbarie humaine? Pourquoi donc, en Afrique centrale, les changements de régime ne peuvent qu'entraîner des massacres et des génocides? Comment se fait-il que les leaders africains qui côtoient leurs homologues occidentaux ne parviennent pas à changer de mentalité, adopter des attitudes démocratiques, préparer la relève, etc.? Comment expliquer qu'aucune institution n'a pu endiguer de tels événements inhumains. Faut-il s'attendre à des réponses qui n'évoquent pas la complexité des enjeux? Les principaux propos émanent des soupçons soit de l'inadéquation entre les valeurs modernes considérées comme occidentales et les cultures africaines, soit de la conspiration occidentale contre les États noirs d'Afrique qui serait à la base d'une continuation du colonialisme sous diverses formes. Ce texte propose une relecture des principales explications de la stagnation politico-économique et sociale de l'Afrique centrale. On doit bien s'en apercevoir, les explications inventoriées ne concernent pas uniquement l'Afrique centrale ; la particularité de cet exposé, c'est donc de montrer comment ces explications différentes sont documentées par rapport aux crises de cette partie du continent. Nous commençons par un aperçu des principaux propos des leaders africains qui consistent à rejeter sur l'autre (l'occidental) la responsabilité des drames africains, les propos anti-impérialistes. Par la suite, sont considérées les réponses anti-anti-impérialistes, les opinions provenant de certains critiques occidentaux et rattachant toute la stagnation africaine à la nature même de la culture africaine. La culture africaine serait une des celles qui " inclinent à persévérer dans l'arriération et la pauvreté (2)" . Pour terminer, il importe d'observer d'une part que la seule disparité entre les explications anti-impérialiste et anti-anti-impérialiste de la stagnation donne la mesure de toute la préoccupation concernant l'état des droits humains en Afrique centrale, comme du reste ailleurs en Afrique et dans le mon-de ; d'autre part que les voies et moyens pour sortir de cette situation sont loin de faire l'unanimité. Nous pensons que la réflexion sur ces explications de la stagnation nous permettent d'aller rapidement vers les perspectives d'avenir. Et je crois que c'est dans ce sens qu'on parle en ce colloque de " finir la Révolution ". 1. L'explication anti-impérialiste L'histoire des pays de l'Afrique centrale depuis les indépendances (au début des années 1960) est tout entière faite d'espoirs manqués. Et les nombreuses accusations, les dénonciations de la part des leaders de cette région, voyant à la source de tous ces ratés une main invisible qui agirait contre un avenir radieux en Afrique n'en sont que des effets. Pour les leaders et les intellectuels africains, le blocage du règne des libertés, l'échec de la démocratie et la léthargie économique n'ont de source autre que la machination du colonisateur qui a mal accepté de laisser après lui ses " propriétés ". L'ex-colonisateur ou l'impérialiste qui s'est substitué au colonisateur piègerait constamment l'ex-colonisé, tenterait de forcer un retour à une forme ou une autre de l'état colonial. En 1974, à l'occasion du sixième Congrès panafricain de Dare-es-salaam, qui avait été placé sous le signe de la " libération humaine ", selon les termes du président tanzanien Julius Nyerere (3), le chef de la délégation zaïroise décrivit la principale lutte des Africains comme étant " une lutte pour la restauration de la dignité des Africains en tant qu'hommes libres sur les plans politique, économique, social, etc.". Il saisit cette même occasion pour dénoncer la dérive des institutions internationales. Ces dernières avaient cessé, pensa-t-il, de fonctionner dans le but de soutenir les conditions de prospérité pour tous les États sans distinction; elles étaient devenues, voulut-il dire, " des instruments de perpétuation de l'impérialisme et du colonialisme ". It is not easy to achieve this objective [international democracy and prosperity for all] because, for one thing, states doggedly maintain their traditionalist and reactionary mentality and moreover, the present structure of institutions conforms to a scientific plan aimed at perpetuating imperialism and colonialism from both the political and economic points of view.Besides, certain institutions have turned themselves into real laboratories for stifling our economic emancipation and want to remain 'exclusive institutions' closed to all other states and ignoring the principle of universality.In such a case, an oligarchy is created within financial groupings, controlled exclusively by a few families of magnates who are in minority and who endeavour to assume overall control of international financial institutions by staffing them with officials committed to their cause. Thus, there is virtually a global control of the international monetary system by these monopolies (4).Ainsi, du point de vue de l'orateur, non seulement il existerait un plan scientifique de perpétuation de l'impérialisme et du colonialisme, mais aussi, l'occident ne saurait même pas en sortir dans la mesure où de plus en plus les pouvoirs échappent aux démocraties pour être concentrées entre les mains d'une oligarchie qui contrôle toutes les institutions financières internationales. Tout ceci, nous semble-t-il, traduit une pensée et des sentiments partagés par beaucoup de leaders africains. Et, malheureusement, de nombreux événements historiques tendent à les conforter, à les corroborer. - Les raisons de l'instabilité : les intérêts économiques étrangers et la guerre anti-communiste : Ce n'est pas sans une grande résistance de beaucoup de colons que le Congo, plus important pays de l'Afrique centrale, a accédé à l'indépendance nationale le 30 juin 1960. Les pressions en faveur de la décolonisation sont surtout venues de Moscou, de Washington et d'autres pays africains. La décolonisation fut aussi une conséquence de l'influence des politiques françaises dans les colonies voisines (Congo-Brazza, Gabon, etc.). L'indépendance fut accordée, mais il apparut aux Congolais que les colonisateurs ne voulurent concéder qu'une indépendance nominale, confisquant d'abord le pouvoir économique et accaparant toutes les ressources financières qui constituaient la juste part du Congo. En effet, à la lecture de la structure politico-économique du pays avant l'indépendance, que décrit très bien l'ouvrage de Jacques Dépelchin, De L'État indépendant du Congo au Zaïre contemporain, on constate que le Congo n'était pas gouverné par les seuls Belges. Au contraire, la Belgique ne fut qu'un lieu de rencontre de plus grandes firmes multinationales. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple simple de la confiscation, la Gécamines (Société générale des carrières et des mines), qui portait à l'époque le nom de " Union minière du Haut-Katanga " (UMHK), et qui représentait à elle seule 75% de l'économie nationale, était constituée avant l'indépendance du Comité Spécial du Katanga (56% de voix), de Tanganyika Concessions Ltd (31% de voix), de la Société Génerale de Belgique (11% de voix), de la Compagnie du Katanga (moins de 2% de voix). Au temps de la colonisation, le CSK a été créé pour assurer au Congo via l'UMHK des investissements tout en garantissant à l'État le plus gros volume de voix. Le CSK fut créé en 1900 en vue " d'assurer et de diriger en participation l'exploitation de tous les terrains appartenant au domaine de l'État et à la Compagnie du Katanga (5)" Comme le Comité n'avait ni les moyens techniques, ni surtout le personnel pour finaliser ce projet, il dut se tourner vers la société anglaise Tanganyika Concessions Ltd. Il permit au Congo d'être l'actionnaire majoritaire pendant cette période et, comme membre du CSK, d'être le principal décideur des politiques de gestion. Avec ses 2/3 des voix du CSK, le gouvernement congolais se retrouvait avec 37%. Mais cette majorité ne lui fut reconnue que durant la période où les revenus dus à l'État étaient dirigés vers des comptes non congolais, en Belgique. Ainsi, trois jours avant l'indépendance du Congo, le 27 juin 1960, un décret de dissolution du CSK fut signé et les actionnaires de l'Union minière devaient alors se répartir ainsi les voix : Congo (478.292); Tanganyika C. (375.160) ; Compagnie du Katanga (202.976) ; Société Générale (128.792). Le Congo fut piégé car malgré son indépendance il devait continuer à obéir à la loi des compagnies étrangères qui pouvaient se réunir à Bruxelles et ne se présenter à Kinshasa (alors Léopoldville) que pour la forme. Ainsi apparaît une des raisons qui expliquent que, quelques jours après l'indépendance, un bras de fer a dû opposer Lumumba, le 1er premier ministre du pays à la Belgique et à beaucoup de groupes d'intérêts puissants dans presque toutes les grandes puissances occidentales. Le pays a dû être déstabilisé par des intérêts miniers étrangers et aucun État stable n'a voulu jouer au pacifisme. - La Belgique qui a colonisé le pays n'a pas préparé des cadres locaux. À l'indépendance, elle dut parer au plus pressé, pour ne pas laisser le vide. Elle aida la colonie à organiser des élections qui ont porté au pouvoir Kasa-Vubu et Lumumba. Les relations entre ce dernier et la Belgique ne tardèrent pas à s'enliser. L'ex-colonisateur fut accusé de vouloir attiser des tensions internes pour empêcher les nouveaux leaders de gouverner. Il lui fut reproché d'activer les sécessions des régions minières du Katanga et du Kasai. Entre le président Kasa-Vubu et le premier ministre Lumumba les relations ne furent pas les meilleures, l'un voulant jouer à la modération tandis que l'autre se voulait plus nationaliste. À cette période, Lumumba tenta de recourir à " ses amis soviétiques " pour mâter les sécessions du Katanga et du Kasaï. Ce qui fut naturellement mal perçu à l'Ouest. Et de plus en plus Kasa-Vubu obtint contre Lumumba des appuis des gouvernements européens et américains. Kasa-vubu gagna de plus en plus de crédit auprès des puissances qui voyaient en lui plus un obstacle à Lumumba. Celles-ci encouragèrent même les dissensions entre les deux leaders pour rendre le pays ingouvernable sans l'autorité ultime de la Belgique. Et rien n'est plus frappant que les provocations du général Jansens (resté au Congo pour la formation des officiers) qui, sur un panneau d'un camp militaire de Kinshasa, écrivit : " Après l'indépendance = avant l'indépendance ", une belle manière d'attiser la colère des militaires mal payés, une façon d'encourager les mutineries. Autre fait surprenant, l'ONU ne fut pas en reste. Omniprésente au Congo pour protéger les expatriés étrangers qui criaient de plus en plus leur peur de l'insécurité, tout le pouvoir lui revint. Le commandement de l'ONU a interdit aux politiciens congolais l'accès à la radio nationale. Et quand il assouplit la mesure le 14 septembre 1960, c'est le colonel Mobutu qui annonça que son armée prenait le pouvoir jusqu'au 31 décembre. C'est son premier coup d'État qui a neutralisé toutes les tendances politiques et les institutions issues des premières élections. Le colonel Mobutu constitua le 20 septembre ce qu'il nomma le " Collège des commissaires généraux ", qui devait administrer temporairement le pays jusqu'à ce que les élus s'entendent sur la manière de résorber la crise. Le semblant d'entente eut lieu, mais en réalité, Mobutu, même en laissant le pouvoir aux civils et ne s'occupant théoriquement que de l'armée, était devenu l'homme fort du pays aux yeux des autorités belges et américaines et n'a jamais cessé de gouverner (sous l'ombre). Il fera un autre coup d'État le 24 novembre 1965. Et il passera toute sa vie au pouvoir avec l'appui des mêmes forces occidentales de manière à laisser le pays dans l'insécurité la plus totale. - Les accusations de néo-colonialisme ont apparu de manière encore plus flagrante lors de la guerre de " libération " qui a porté au pouvoir Laurent Désiré Kabila. Ayant aidé Paul Kagamé, un ex-rebelle, à prendre le pouvoir à Kigali au Rwanda, Yoweri Museveni, le président ougandais, fort des économies que lui permirent d'acquérir les soutiens financiers des multinationales anglo-américaines, a soutenu une autre campagne militaire en l'ex-Zaïre avec l'appui de Kagame. Meurtrière, cette guerre qui continue encore aujourd'hui grâce aux appuis de nouveaux seigneurs de guerre a déjà causé plus 3 millions de morts. Étrange, elle est née au moment où elle n'était plus requise. Le dictateur Mobutu mourait de cancer dans un lit d'hôpital et n'avait plus de choix que de léguer le pouvoir aux organes de la transition qui avaient été mises sur pied par la Conférence nationale souveraine. À plusieurs occasions, les gouvernements issus de la Conférence nationale souveraine se sont opposés à Mobutu, des principaux de l'armée avaient lâché le maréchal. Mais aucun appui au peuple n'est apparu, les rébellions ne se sont pas manifestées. Encore une fois, pour un grand nombre de Congolais, les soutiens étrangers qui ont aidé Museveni et Kagame à entamer une campagne militaire sans fin au Congo allaient dans la logique néo-coloniale des groupes d'intérêts occidentaux. Aucun effort de soutien aux sensibilités démocratiques internes n'a été entrepris par tous ceux qui voulaient que le Zaïre change. La guerre a eu lieu pour mettre fin à tous les espoirs de changement pacifique. Et c'est la faute à " l'autre ". 2. La réponse anti-anti-impérialiste Tout n'est pas de critiquer, pouvons-nous entendre dire : les inconvénients que causent les mauvaises politiques économiques occidentales ne sont pas les seules qui affectent les États post-coloniaux. La gestion du quotidien dans ces États n'est pas toujours tributaire des politiques économiques des pays avancés. À cet égard, sans nécessairement innocenter le Nord, peut-être faut-il rappeler aux Africains de se regarder dans le miroir : dire combien d'hôpitaux, combien d'institutions d'enseignement ils ont bâtis après l'accession de leurs pays à l'indépendance. Les Congolais, les Rwandais et les Burundais seraient les premiers responsables de leur crise politique, des violations de droits à l'intérieur de leurs États. Après tout, même si cette main invisible tant soupçonnée d'être la source des manipulations qui conduisent à des guerres fratricides existe, elle ne constitue pas une excuse pour les Africains. Ce sont eux qui prennent des machettes pour s'entretuer. C'est à eux de prouver que les préjugés qui ont caractérisé de nombreux écrits sur le caractère peu progressiste des hommes et des cultures africains étaient infondés. Peu avant la lutte des Amis des Noirs, même les plus célèbres des philosophes doutaient de la possibilité qu'existent des personnes de race noire auxquelles on puisse à juste titre associer quelque talent. Sous la plume de Hume ou de Kant, Les Noirs suscitent même le dégoût qu'il serait plutôt approprié de les " disperser à coup de bâton (6)" . Même après la Révolution, après même la deuxième abolition de l'esclavage, Gobineau voulut confirmer ce qui n'avait été qu'une hypothèse provocatrice des philosophes ; il confirma l'existence des limites infranchissables pour les races "inférieures". Tout au plus un enseignement moral et religieux peut être enseigné à des sauvages. Dans son Essai sur l'inégalité des races, Gobineau écrivit : " tous les hommes ont-ils, à un degré égal, le pouvoir illimité de progresser dans leur développement intellectuel? Autrement dit, les différentes races humaines sont-elles douées de la puissance de s'égaler les unes les autres? Cette question est, au fond, celle de la perfectibilité indéfinie de l'espèce et de l'égalité des races entre elles. Sur les deux points, je réponds non (7)" . Il faut faire preuve d'une grande témérité pour tenir de tels propos aujourd'hui. Les théories égalitaristes contemporaines ont non seulement réuni un consensus sur le caractère vital des principes de l'égalité en droits et de liberté, mais aussi ont façonné notre façon de voir. Quoi qu'on en dise, le monde politique contemporain n'est plus un espace accessible à des discours politiques inégalitaristes. C'est ainsi que les Gobinistes ne semblent plus tolérables, qu'ils se manifestent moins. Il y a cependant un langage pour redire tout cela, ne serait-ce que pour se donner l'occasion de penser le phénomène d'arriération de certains pays. Et Carlos Rangel est un de ceux qui l'ont utilisé sans détour. Il ne s'empêche de penser, tout comme Max Thurn, que " les différences de fortune entre les nations sont dues, essentiellement aux gens qui y vivent ". Les plus pauvres sont moins ingénieux que les autres : les Suisses, par exemple, sont plus organisés que les Bengalis et c'est pour cela qu'ils sont riches qu'ils ont la possibilité de se doter des institutions viables, que les droits de tous peuvent être protégés. Et un des exemples qu'il reprend de Thurn est le suivant : " il suffit d'imaginer la transplantation de cinquante millions d'Indonésiens en Allemagne [ou en France, ce qui reviendrait au même] et de cinquante millions d'Allemands [ou de Français] en Indonésie. Quel serait le pays riche et quel serait le pays pauvre au bout de dix ans? ". C'est dire que les anti-impérialistes n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes. Même avant de coloniser les pays d'Afrique, les pays forts d'occident étaient déjà forts. Pourquoi alors ignorer que les Congolais, les Rwandais et les Burundais sont les premiers responsables de leur situation politico-économique? En vertu de quoi continuer d'associer prospérité de l'occident et pillages coloniaux, pauvreté du Tiers-monde et conséquences de l'impérialisme? La sociologie de l'inégalité de Carlos Rangel n'a rien de l'essai sur l'inégalité entre les races. Elle se manifeste plutôt comme un procès du communisme, des idéologies de gauche qui ont influencé l'élite de beaucoup de pays qui se destine purement et simplement " à la harangue dans les médias, à des colloques (8)" . Le Chili n'a pas beaucoup avancé malheureux qu'il est d'avoir vu ses nombreux fils se former à l'école du socialisme français. La léthargie des pays africains n'est pas le fait de l'inégalité raciale, mais de l'erreur de choix. Les leaders politiques ont hésité à faire des choix judicieux; ils n'ont pas pris le train du libéralisme économique en marche le plus tôt possible ; c'est peut-être un problème lié à leur culture. La réponse anti-anti-impérialiste, c'est donc de dire que des Noirs d'Afrique en général, ceux de l'Afrique centrale en particulier, sont des êtres un peu trop tribalisés, tellement pris dans les luttes interethniques qu'ils ne peuvent s'accommoder avec la modernité : les majorités conspirant contre les " minorités " (cas des Hutus contre les Tutsis du Rwanda), les revendications des petites nationalités (cas des immigrants tutsis dans les montagnes de la province du Kivu) volant la vedette à la démocratie. Les Congolais ou les Rwandais ou encore les Burundais seraient un bel exemple pour prouver que l'Abbé Grégoire s'était trompé sur toute la ligne en prônant la liberté pour tous, l'égalité comme étant des valeurs universelles. 3. La vérité entre les deux Tout le monde sait que l'état des droits et libertés dans le Tiers Monde en général et en Afrique centrale en particulier révèle un inachèvement de la Révolution. L'après-Grégoire n'est pas tel que l'homme de Vého l'aurait souhaité. Le pire, c'est qu'il n'existe même pas encore aujourd'hui de consensus véritable sur la nécessité d'étendre les libertés et les droits à tous les humains ni sur la manière d'accomplir un tel dessein. L'explication anti-impérialiste a sa part de vérité : la continuation de l'impérialisme et le pillage systématique des richesses du sous-sol, comme dans le cas du Congo (RD), est un facteur important de l'arriération des États victimes. Nous avons relevé le cas de la guerre contre Mobutu qui n'avait plus sa raison d'être et qui a quand même été menée avec l'appui de forces obscures. Cette guerre a interrompu le processus de démocratisation et a implanté contre le gré de la majorité de citoyens un état de guerre qui a continué jusqu'à ce jour. Le résultat : diverses firmes multinationales vont et reviennent avec leurs " rebelles ", pillent le diamant, l'or, le colombite-tantalite et rasent des populations qui risquent d'empêcher l'extraction anarchique de minérais. Il n'est pas infondé de dénoncer ces transnationales ou les pays qui tolèrent l'entrée des ressources minières pleines de sang. Il faut autant questionner la modernité des citoyens du Nord par rapport à la timidité avec laquelle ils condamnent -le terme est sans doute généreux- les firmes transnationales de leurs pays qui orchestrent tous les pillages des pays tiers, laissant sur leur passage la famine, les épidémies, la misère, etc.. La vérité de la critique anti-impérialiste, c'est qu'elle demande à juste titre à l'occident de s'impliquer dans l'imposition universelle des droits de l'homme. Cela suppose des poursuites et des jugements de ceux qui financent les guerres meurtrières et les seigneurs de guerre. La vision anti-anti- impérialiste a aussi sa part de vérité. Les leaders africains ne peuvent pas se tirer d'affaire si facilement en évoquant la faute des autres. Ce ne sont pas les impérialistes qui ont la responsabilité d'initier des projets dans le Tiers Monde ; les impérialistes font leur affaire parce qu'ils peuvent se bâtir à peu de frais des réseaux d'Africains complices. Oui certes les politiques américaines, françaises, etc. ont consolidé des dictatures comme celle de Mobutu ; elles ont forgé de toutes pièces des tyrans trop extravertis. Mais faut-il aussi reprocher aux Américains et à d'autres occidentaux les décisions des chefs africains d'accepter tout ce qui leur est proposé ? Est-ce la faute aux impérialistes si le dictateur Mobutu n'a pas construit pendant ses trente-deux ans de règne un hôpital où il pût se faire soigner et mourir ? Est-ce la faute aux pays du Nord si les caisses des coalitions économiques africaines (CEPGL, SADC, etc.) sont toujours vides, n'étant pas financées par ceux-là même qui les ont initiées ? À l'OUA, la principale organisation dont la mission est de réunir les nations africaines pour qu'elles constituent un interlocuteur valable vis-à-vis les autres regroupements régionaux, on se plaint que les États membres " préfèrent visiblement s'acquitter de leurs contributions auprès des institutions non africaines plutôt qu'auprès de l'Organisation panafricaine (9)" . NOTES (1) Lire Dorigny, M., " Grégoire et le combat contre l'esclavage pendant la Révolution " in Grégoire et la cause des Noirs (1789-1831. Combats et projets. Sous la direction de Yves Bénot et M. Dorigny. P. 56. (2) Rangel, C., L'occident et le Tiers-monde. p. 190. (3) President Mwalimu Julius K. Nyerere's Opening Speech in Resolutions and Selected Speeches from the Sixth Pan African Congress. Dar-es-Salaam, TPH, 1976. (4) Democratisation of International Institutions, Idem. Pp. 78-9. (5) Cité par, Depelchin, J., De l'Etat Indépendant du Congo au Zaïre contemporain. p. 172. (6) Dans Observations sur le sentiment du beau et du sublime, Emmanuel Kant écrivit : Monsieur Hume défie qui que ce soit de lui citer l'exemple d'un nègre qui ait montré des talents, et il affirme que, parmi les centaines de mille de noirs transportés loin de leur pays, et dont un grand nombre cependant ont été mis en liberté, il ne s'en est jamais trouvé un seul pour produire quelque chose de grand dans les arts, dans les sciences ou dans quelque autre noble discipline ….Les noirs sont extrêmement vaniteux, à la manière des noirs, et si bavards qu'il faut les disperser à coups de bâton ". op. cit. Paris, Lib. phil. J. Vrin, 1992, p. 60. Il se réfère sans doute à l'essai humien " sur les caractères nationaux ". (7) Essai sur l'inégalité des races humaines in Œuvres. Paris, Librairie de Firmin Didot Frères, 1983. pp. 288-89. (8) Rangel Carlos, op.cit. p. 190. (9) Kodjo, E., Préface à L'Organisation de l'unité africaine de Edmond Jouve, Paris, Puf, 1984, p. 14. |