COMMENTAIRES SUR LES PRÉSENTATIONS DE LUC BONNEVILLE ET D'ÉLIANA HERRERA Monique Lanoix Souveraineté et mondialisation Nous allons nous pencher sur les questions qui ont été mises en relief par Monsieur Bonneville et Madame Herrera. Ce qui est de prime abord évident est que la souveraineté n'est pas absolue dans un contexte de mondialisation. Comme le souligne Madame Herrera, le crime transgresse les frontières et peut criminaliser certaines pratiques. L'économique peut engendrer des pratiques (telle la culture du coca) qui sont jugées criminelles. Aussi Monsieur Bonneville souligne-t-il l'importance de l'économique à un point tel qu'il semble que le politique devient impuissant. Les questions que nous avons trouvées particulièrement intéressantes sont celles-ci: cette impuissance du politique est-elle due à une perversion du politique ou simplement à l'échec du politique? (nous voulons regarder l'importance du politique parce qu'il détermine la souveraineté). Dans un premier temps nous voulons revoir les points soulevés par Madame Herrera sur la transnationalité du crime. Effectivement, comme le soulève Madame Herrera, certaines pratiques culturelles acceptées peuvent devenir criminalisées ou plus encore engendrer une dépendance économique nocive. Nous pensons ici au trafique de la cocaïne. La mondialisation met une perspective `internationale' sur certaines pratiques et les soumettent à un regard économique qui peut en pervertir la signification. Mais la transnationalité du crime n'est pas un phénomène du 20ième siècle. Nous pensons ici au trafique de drogues et d'armes et aussi à l'espionnage (certes beaucoup plus restreint qu'aujourd'hui). Ce qui est plutôt un phénomène du 20 ième siècle et surtout de l'après-guerre est la reconnaissance de droits humains et de crimes commis contre la personne. La souveraineté d'un pays n'exclut pas le regard de la communauté internationale. Ceci se fait à l'échelle des `grass roots movements' tel amnistie internationale qui fait des campagnes de pression contre certains gouvernements en faute jusqu'à l'intervention, controversée sans doute, de l'OTAN en ex-Yougouslavie. Donc la communauté internationale semble reconnaître certains droits inaliénables et qu'une intervention pourrait être justifiée si l'envergure des abus devient trop grande. Nous pensons donc que ce genre de crime démontre aussi la transationalité du crime mais du point de vue de limiter les pouvoirs d'un état-nation et de protéger les citoyens et citoyennes. Ceci serait un bon exemple de limites imposées sur la souveraineté. Il y a une justice qui va au-delà des frontières et ceci est un développement qu'il faut reconnaître. La souveraineté ne confère plus un pouvoir absolu sur les citoyens et citoyennes. Ici nous pensons au parallèle de la famille. Jusqu'au début du 20ième siècle (et même encore...) le pouvoir du père au sein de sa famille était absolu. La société libérale occidentale reconnaît maintenant que les cas d'abus ne doivent être tolérés. Les membres d'une famille ont un recours contre une personne qui les abuse. Ceci n'a pas affaibli pour autant le concept de la famille. Mais s'il a eu une prise de conscience à ce niveau dans les sociétés libérales, il faut aussi avouer que l'économique semble avoir préséance sur les droits de la personne et certainement les droits des travailleurs comme le relève le texte de Monsieur Bonneville. Il serait bénéfique ici de faire un retour en arrière et de regarder encore une fois l'évolution de la souveraineté et surtout de la légitimité du pouvoir politique. Jean Bodin élabore un concept de la souveraineté, comme l'a expliqué Monsieur Marien. Son influence est importante en Angleterre. Elle marque, entre autres, Robert Filmer qui écrit en 1680 (environ) Patriarcha. Ce texte est très important car il justifie le pouvoir absolu du roi en le comparant au pouvoir du père sur ses enfants. Ce texte, populaire à l'époque, fut réfuté par John Locke dans Les deux traités du gouvernement. Le premier traité est une réponse à Filmer. Dans le deuxième, et c'est ce qui nous intéresse ici, Locke distingue les différents types de pouvoir et aussi tente de justifier l'autorité du magistrat ou gouvernement. Le citoyen donne son consentement à l'autorité du magistrat ou gouvernement si celui-ci lui promet quelque chose en retour, c'est-à-dire la protection de sa personne et de ses biens. La légitimité du pouvoir du magistrat est liée à sa capacité de protéger ses citoyens. Le concept du citoyen est plus large que la vie personnelle: il comprend aussi la propriété du citoyen. Dans la société du 17ième siècle, comme le voyait Locke, le travail fait par un homme sur la nature (blé, terre, etc.) modifiait la chose et lui donnait donc plus de valeur. Par ce travail, l'objet appartenait au travailleur-citoyen et il pouvait en disposer selon sa volonté mais toujours selon les principes de justice et charité. Le but de l'état était de protéger les citoyens et leurs biens afin d'assurer la prospérité (qui allait avec le désir de Dieu et le but de l'être humain sur la terre). Les principes de justice et de charité, inspiré par Hooker, sont très importants pour Locke. Ceci apparaît dans le premier traité qui est souvent oublié. Je cite: "As justice gives every man a Title to a product of his honest industry, and the fair acquisitions of of his Ancestors descended to him; so Charity gives every man a Title to so much out of another's plenty, as will keep him from extreme want , where he has no means to subsist otherwise..." (I, 42). Ces deux principes ne pouvaient être disscoiés pour Locke. si le principe de justice justife la protection du citoyen et de ses biens, le principe de charité limite le pouvoir d'accumulation et est une garantie de survie pour tous citoyens. Cependant, le premier traité a souvent été oublié et l'homme `homo faber', `l'individu possessif' (de C.B. Macpherson) devient le citoyen. La propriété est ce qui doit être protégée. Le droit à l'accumulation de biens perd ses limites. Ce liberalisme se prète très bien à l'évolution du capitalisme. Aujourd'hui nous sommes confrontés à la réalité de la mondialisation. Sur le plan économique les répercussions sont considérables. Pourquoi sommes nous choqués par les abus fait contre un citoyen à cause de sa religion ou de son ethnie mais complètement impassible lorsque des abus équivalents sont perpétués contre des travailleurs? Certes lorsque les médias nous apprennent que des centaines de travailleurs sont brûlés dans une usine à Johannisbourg parce que le patron verrouille la porte, cette nouvelle ne nous laisse pas insensibles. Mais les mesures pour contrer de tels abus demeurent inaccessibles. Est-ce que le phénomène de la mondialisation est seulement économique et comme le relève Monsieur Bonneville est-ce parce que le politique est incapable de gérer les rapports sociaux et surtout les rapports internationaux? Il semble que l'économique est peut-être bien situé parce qu'il se fonde sur des principes objectifs. Le politique ne peut se vanter d'une telle objectivité; les principes démocratiques ne sont pas des principes mathématiques. Il n'empêche que les états-nations ne peuvent plus protéger leurs citoyens contre les abus des multi-nationales. Doit-on alors abandonner le politique pour une souveraineté économique? Je voudrais suggérer que la fin du 20ième siècle a vu une certaine perversion du politique. Si la souveraineté n'est plus opaque au regard des autres nations, les multi-nationales le sont et ceci demande une profonde réflexion. Conclusion Nous pensons que le politique a encore sa place comme le démontre les appels à la justice et les actions que les nations ont prises contre certains état-nations. Nous pensions ici au cas de l'apartheid en Afrique du sud qui fut réglé, en partie, grâce au sanctions économiques. Mais il n'empêche que les appels des citoyens contre certaines multi (par exemple Nike) sont impuissants sauf pour sensibiliser la population. Face à l'abus des multi-nationales, il faudrait un pouvoir de plusieurs nations prêtes à légiférer. |