TABLE RONDE - QUELQUES RÉFLEXIONS

Jay Ellis

Une démocratie participatoire est généralement regardée, même au niveau municipal, comme étant irréalisable. Non seulement sont les questions politiques de nos jours d’une complexité énorme, mais il serait pratiquement parlant impossible d’écouter tout le monde qui aurait une opinion sur un sujet avant d’arriver à une décision. Le développement des mécanismes de représentation s’avère donc, de toute apparence, nécessaire, avec le résultat que la participation publique est reduite à un droit de vote. Au niveau international, la même logique s’applique : les États sont responsables de représenter dans les fora internationaux les intérêts et les perspectives de leurs citoyens. Les organisations de société civile pourraient bien sûr avoir une certaine influence sur les débats et les négociations mais l’idée de leur donner un vrai pouvoir décisionnel irait trop loin.

Cependant, la notion que le gouvernement d’un État soit capable de discerner et de représenter l’intérêt national (au singulier) sur le plan international est tâchée de naïveté. L’on reconnaît qu’il n’y a pas d’intérêt national seul et unique. Si un État n’a qu’une voix au niveau international, il y aura forcément des voix, des perspectives et des intérêts au niveau national qui seraient supprimés dans les fora internationaux. Dans les domaines de protection des droits de la personne et de l’environnement, pour mentionner deux exemples, il arrive souvent que la population – ou une partie d’elle – est en conflit actuel ou potentiel avec le gouvernement. L’interdépendance des États sur les plans économique, culturel, social, politique, environnemental et ainsi de suite rend plus problématique encore cette notion que le gouvernement d’un État pourrait représenter l’intérêt national au niveau international. Les questions soulevées dans les fora internationaux ont des implications souvent profondes pour la société civile. Pour cette raison, le développement de la politique et du droit internationaux est d’une importance énorme pour la société civile.

L’organisation décentralisée et horizontale de la société internationale implique que la résolution des problèmes commun, notamment par moyen de la coopération interétatique et le respect des normes et règles internationales, dépend de mécanismes autres que la coercion par une autorité centrale. Un mécanisme possible serait le pouvoir d’un État ou d’un groupe d’États suffisament puissants pour contraîndre d’autres membres de la société d’agir d’une certain façon. Un autre serait la création des systèmes d’avantages et de désavantages (« incentives and disincentives ») pour inciter les acteurs d’adopter un certain comportement. Finalement, il y a des mécanismes cognitifs, incluant l’apprentissage, la persuasion, ou la réalisation d’un consensus. C’est sur ces derniers mécanismes que j’aimerais pencher car, dans un système anarchique telle la société internationale, la perception de la légitimité des structures et processus de gouvernance ainsi que les règles elle-mêmes assume une grande importance.

La légitimité implique un commun accord entre les acteurs soumises aux normes, règles et institutions dont il y a question. Or, dans une société non seulement anarchique mais hautement hétérogène, un tel commun accord serait énormément difficile d’atteindre. Est-ce qu’un tel accord doit commencer avec des principes fondamentaux d’où procèdent les règles particulières, ou bien est-ce qu’il serait possible d’arriver aux règles considérées comme légitimes même en l’absence d’un système universel de valeurs et de principes?

Il existe dans la littérature plusieurs approches au problème d’intégration normative au niveau international. Pour en prendre quelques exemples, l’école du fonctionnalisme suggère que l’intégration serait favorisée par le développement des régimes pour resoudre des problèmes spécifiques qui ne touchent pas aux intérêts fondamentaux des États. Selon le fonctionnalisme il est possible de distinguer entre les questions de « high politics » telle, notamment, la sécurité nationale et les questions de « low politics » qui comprend les transports, la communication, la poste et ainsi de suite. La coopération dans les domains techniques ménerait, selon les auteurs fonctionnalistes, aux formes de coopération plus intenses et ambitieuses. Cependant, les problèmes telles la protection environnementale ou les échanges internationales, qui avaient été classées par certains parmi les problèmes de « low politics, » ne sont pas que les problèmes de nature technique à être resolus par les experts. Ils ont des implications politiques, sociales et éthiques profondes et importantes.

Un autre approche sort de la littérature libérale sur la paix démocratique, basé sur l’observation que les régimes libéraux ne font pas la guerre entre eux. L’explication pour ce phénomène se trouve, selon cette école de pensée, dans la similarité des insitutions, des idées sur la bonne gouvernance et la bonne société, les pensées morales et éthiques et ainsi de suite. Certains adhérents à cette école croient qu’il serait possible de coopérer avec les États non-libéraux à condition que ceux-ci accepteraient et adopteraient les structures politiques et économiques ainsi que les valeurs principales du monde libéral. Cependant, la résolution des problèmes dans la société internationale ne peut pas attendre le rapprochement des valeurs et approches politiques. Qui plus est, nous ne pouvons pas être certains que l’approche libéral soit le meilleur, apt à être imposé dans d’autres États du monde. Nous n’avons qu’à penser à la manque de compréhension chez les pays du Nord des problèmes environnementaux tels qu’expérimentés dans les pays du Sud pour nous rendre compte qu’il nous faut des dialogues entre les États et sociétés du monde plutôt que des monoloques menés par les pays industriels. Finalement, même si l’on peut envisager un rapprochement des approches politiques, moraux et éthiques, nous ne devrons pas attendre à une homogénéité parfaite de valeurs dans la société internationale. Nous ne devrons pas non plus présumer que l’universalité des valeurs éliminerait les conflits, par exemple dans l’interprétation de principles moraux et légaux et leur application aux situations concrètes. Un troisième approche, qui se trouve surtout dans la littérature allemande de relations internationales, fait appel à la théorie de regimes mais également aux théories de l’éthique du discours, tel l’oeuvre de Juergen Habermas. Cet approche suggère que la coopération entre États ne doit pas forcément se limiter aux problèmes techniques. En fait, les adhérents à cet approche cherchent à favoriser les processus démocratiques, c’est-à-dire, ceux qui permettent un dialogue véritable entre société civile et structures de gouvernance. La réduction des questions et problèmes au niveau international aux simples problèmes techniques, à être résolus par les experts au sein des bureaucraties municipales ou internationales, ne serait ni efficace ni souhaitable, selon ces auteurs.

Cet approche ne limiterait pas le champs de coopération aux États qui partages les mêmes systèmes de valeurs et politiques. En fait, certains auteurs ont cherché à démontrer la pertinence de la théorie de l’éthique du discours aux négociations et débats entre États ou sociétés profondément différents ainsi que d’éclaircir les conditions sous lesquelles un tel dialogue serait possible et fructueux.

Si l’on présume que le pouvoir de forcer d’autres acteurs à adopter un certain comportement est la force la plus importante dans la société internationale, on viendrait à la conclusion que le gouvernance international ne serait pas assuré sans une autorité centrale capable d’établir des règles et d’en punir les violations. Si, par contre, l’on présume que c’est l’intérêt que mène les actions des membres de la société internationale, l’on chercherait à découvrir les conditions dans lesquelles ces membres adopterait un comportement coopératif. Si, par exemple, les États pourraient être convaincus qu’il serait dans leur intérêt de coopérer ou d’obéir des règles, le gouvernance international serait facilité.

L’approche de l’éthique du discours ne prétend pas que le pouvoir et l’intérêt n’ont pas d’importance dans la société internationale. Cependant, la naissance et le maintient de la coopération et l’acceptation des règles sont favorisés, selon ces auteurs, par les moyens tels le discours, le dialogue, la persuasion et, en général, tout comportement qui aurait comme objectif la réalisation d’un consensus.