LE «PARTI DE L'HUMANITÉ»

LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES ET JURIDIQUES D'UNE COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

Isabelle Duplessis

I. Le problème

Il est de certaines choses que l'on discute sans nécessairement avoir à revenir sur leurs fondements. En ce sens, l'étude de la rhétorique depuis Aristote nous enseigne que les hommes argumentent essentiellement sur ce qui fait problème. Tant qu'un problème n'est pas soulevé, nous pouvons en déduire vraisemblablement qu'il n'existe pas. En effet, on ne discute pas sur des événements relevant de la nécessité et, par conséquent, échappant au contrôle de l'homme ; ou encore sur des concepts ou des règles qui ne font l'objet d'aucune polémique puisque leur usage, suivant en cela l'explication de Wittgenstein, détermine assurément leur signification. En l'occurrence, et devant l'usage répandu du terme de communauté internationale, l'on serait en droit de penser qu'il en va de même.

Dans ce cas, l'exception confirme la règle. Au-delà de son utilisation pléthorique par les médias, les États, la littérature et les institutions internationales, le concept de communauté internationale est tout sauf univoque. Il demeure un impensé. C'est un peu comme si la rhétorique de la communauté internationale évacuait ici le caractère imprécis, idéologique voire polémique de l'expression et ne se souciait d'aucune argumentation ou réflexion. L'expression renvoie pourtant et certainement à une réalité existante. Son usage courant suggère une fonction pragmatique du discours dans la construction de la réalité dont les grandeurs et misères nous sont quotidiennement relatées.

Néanmoins, elle demeure tant au niveau sémantique que pragmatique un concept flou et donc hautement susceptible d'appropriations stratégiques de toutes sortes. Cet usage langagier correspond, mais à notre avis ne doit pas se confondre, à une mondialisation factuelle ou pour reprendre la pensée de Jürgen Habermas à une globalisation des risques qui unit objectivement quoique involontairement le monde (1). L'utilisation pléthorique du terme de communauté internationale contribue à la confusion de cette dernière avec une mondialisation de facto mais qui évoque un nouvel espace socio-symbolique (2) débordant cette fois-ci l'univers national traditionnel.

Quelle est précisément la composition de cette communauté ? Regroupe-t-elle l'ensemble des États, les Nations Unies, les acteurs transnationaux et les individus? Se limite-t-elle au cas en l'espèce et à un organisme international comme le Conseil de sécurité, à un bras exécutif tel que l'OTAN, à un regroupement de type régional à l'instar de la Communauté européenne ou à une puissance étatique qui prétend, en tout état de cause, être le grand justicier et dont nous tairons le nom? La réflexion sur les fondements de la communauté internationale est d'autant plus urgente que l'on déplore les divisions en son sein et qu'on lui octroie d'ores et déjà une responsabilité en cas d'inaction. Pensons notamment au génocide rwandais et aux demandes d'enquête par des citoyens belges sur le rôle tenu à l'époque par l'actuel secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan ou encore, aux derniers événements au Kosovo.

Sommes-nous alors en présence d'un simple artifice instrumental, utilisable au bon plaisir et accordant une certaine légitimité à des fins diverses voire contradictoires? Y a-t-il lieu de donner à la communauté internationale un autre sens que celui d'un tour de passe-passe coïncidant, cette fois-ci, avec la fin de la Guerre froide et le discours sur la mondialisation? Sinon, comment penser la communauté internationale dans un contexte politique où la souveraineté des États s'impose toujours et ceci malgré les transformations qu'elle peut subir ?

II. La souveraineté nationale et la communauté internationale : deux idées antithétiques ?

Les difficultés

Contrairement au concept de souveraineté qui, dès la création de l'État moderne, a été systématisé aussi bien au plan juridique qu'au plan philosophique, à preuve le modèle contractualiste, il n'y a eu aucune tentative de ce genre et de cette ampleur pour penser la communauté internationale et son caractère proprement juridique. Certes, on trouve des réflexions assez proches chez Grotius, l'Abbé de Saint-Pierre, Leibniz et plus particulièrement Kant avec son ouvrage sur La paix perpétuelle, ouvrage par ailleurs faisant l'objet d'abondants commentaires par des philosophes contemporains (Habermas, Höffe). Toutefois ces réflexions n'abordent pas spécifiquement le concept de communauté internationale, encore moins la fondation possible de sa dimension normative. Or, cette expression renvoie bel et bien à une réalité. Celle-ci se dessine quoique indistinctement dans des instruments normatifs comme la Charte des Nations Unies (3) et la Déclaration sur les relations amicales (4) qui interprète la même Charte et, confirmant l'utilisation contemporaine de plus en plus répandue du terme, de façon explicite dans des instruments récents comme le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (5) et le Statut d'une cour criminelle internationale (6) (1996, années clés...).

La volonté de combler cette carence de réflexion sur la communauté internationale, ce déficit philosophique et juridique, se heurte inévitablement à un obstacle. En effet comment penser, malgré la souveraineté des États, l'idée d'une communauté internationale en tant que sujet d'action ? Tout s'est passé et se passe encore, comme si la souveraineté nationale et la communauté internationale s'excluaient l'une l'autre, comme s'il y avait là, entre ces deux concepts, une antinomie insurmontable.

Pour les auteurs " classiques " (7) (Vitoria, Suarez, Gentili), ce paradoxe n'en était pas un puisque la virtualité d'un conflit entre la souveraineté nationale et la communauté internationale pouvait être ramenée à une somme nulle. Les divergences et les particularismes se confondaient alors à l'intérieur d'une pensée iusnaturaliste, parfois même théologico-politique ou téléologique à portée universelle. Il faut déjà y voir le début de l'articulation d'un dualisme entre la souveraineté nationale et la communauté internationale. Les auteurs " classiques " ont été amenés à penser et à écrire la communauté internationale avec la conquête du Nouveau Monde, la rupture continentale de la Chrétienté et l'ascendance de l'État. L'entreprise devient véritablement paradoxale avec le retrait d'un schème transcendant qui absorbe les particularismes, et la consolidation de l'État moderne au fil du temps. La souveraineté deviendra de plus en plus, au plan interne, le synonyme d'une maîtrise absolue d'un gouvernement sur un territoire délimité et une population définie avec pour corollaire au plan externe une indépendance face à toute autorité normative peu importe la source de son émanation.

Comment les " modernes " vont-ils concilier ces particularismes étatiques en l'absence d'un schème transcendant ou une autorité à prétention universelle? Ils vont généralement, et indépendamment de leur domaine d'étude, effacer le concept de communauté internationale au profit de la souveraineté nationale. Par exemple, le courant realpolitik (sciences politiques et relations internationales) s'inspirera de Hobbes pour rapprocher la scène internationale d'un état de nature excessivement violent. État de nature sui generis qui ne nécessite aucun contrat social pour assurer la survie et la sécurité des individualités étatiques. Le jeu international des particularismes se confond avec une structure tissée de rapports de pouvoir. Exit la normativité.

La réponse des juristes est plus nuancée voire déchirée car ils savent bien que le droit ne peut naître et s'imposer de et sur l'absence d'une société. Enchaînés à cette condition sine qua non mais tout autant par la force théorique et pratique de la souveraineté, les juristes feront découler l'obligatoriété des normes du droit international de la volonté ou du consentement exprès des États (8).

La société internationale, car l'on hésite à la nommer communauté, se bâtirait alors sur le consentement ponctuel et explicite des États-Nations. Il reste que c'est la volonté de l'État national qui prédomine et n'offre à la communauté internationale qu'un rôle trop subsidiaire.

Devant ces explications qui représentent le spectrum des positions, nous nous retrouvons avec le problème suivant : dans la mesure où l'on accepte la possibilité d'une normativité internationale, ce que la realpolitik rejette explicitement, le droit se résume à une description sociologique ou à la codification des velléités et pratiques étatiques (9). D'où les critiques faites, à juste titre, au droit international. D'après ces critiques, le droit international comporte une déficience normative inacceptable, en ce qu'il évince spontanément toute faculté de guider l'agir international ou tout devoir être international. D'un autre côté, si le droit international accueille véritablement une normativité indépendante et possiblement contraire aux intérêts immédiats des États, qui donc le mettra en uvre? Toute la question de l'effectivité du droit se pose ici.

Dans tous les cas, le paradoxe entre la souveraineté nationale et la communauté internationale reste irrésolu à la lumière des théories ou des ensembles de théories dont nous disposons. Pour les " classiques ", ces deux termes ne se présentaient tout simplement pas sous une forme antithétique. Quant aux " modernes ", ils héritent entièrement de l'entreprise paradoxale mais leurs solutions s'avèrent insatisfaisantes puisqu'elles consistent invariablement à infléchir la communauté internationale au profit de la souveraineté nationale.

III. Proposition d'une solution : et si le paradoxe n'était qu'apparent...

Sommes-nous donc véritablement devant des termes antithétiques? Devons-nous, afin d'expliquer l'usage renouvelé du terme de communauté internationale et par une espèce de retour du balancier, effacer à notre tour le concept de souveraineté nationale? Certaines approches contemporaines (10) privilégient ce retour du balancier allant même jusqu'à prononcer ou annoncer la mort de l'État et, du même coup, celle de la souveraineté nationale. Les thèses sur l'effritement ou la dissolution de l'État peuvent s'appuyer, d'une part, sur son incapacité à répondre aux exigences factuelles de la mondialisation et à l'évanescence des frontières géographiques et conceptuelles ou, pour le dire autrement, à l'interdépendance économique, militaire, écologique et sociale. D'une autre part, elles peuvent reposer sur une exigence éthique qui elle-même se divise en deux camps. Ainsi, l'exigence éthique libérale ou cosmopolitique refuse-t-elle toute primauté morale à l'État, appareil historique de répression, pour l'avènement international de l'individu et des droits de l'homme (11). L'exigence éthique communautarienne reproche plutôt la création et la perpétuation par l'État de distinctions artificielles et contingentes, au détriment des liens authentiques et spontanés de la communauté culturelle, ethnique ou linguistique (12) ou encore de l'humanité dans son ensemble.

Notre prétention n'est pas ici la démonstration des difficultés théoriques, philosophiques et pragmatiques de ces approches contemporaines quoi qu'elles puissent se pressentir. Jusqu'à preuve du contraire et malgré les transformations qu'il peut subir, l'État est là pour demeurer et le concept de souveraineté ne peut, par conséquent, être évincé. À l'opposé, il nous faut défendre et assumer le paradoxe entre la souveraineté nationale et la communauté internationale, paradoxe qui n'est peut-être qu'apparent. En effet, l'antinomie dépend fondamentalement de la représentation que l'on se fait de la souveraineté d'une part et de l'idée que l'on entretient de la communauté internationale de l'autre. Parce que l'interprétation de la première a penché irrésistiblement vers la radicalisation et l'atomisation des États-Nations, la communauté internationale ne pouvait advenir, du moins au plan du concept. Au mieux, elle se résumait en une collection numérique et juxtaposée des particularismes étatiques. La communauté internationale perd, est-il besoin de le dire, toute spécificité et n'autorise aucune normativité indépendante de la stricte volonté des États. À l'inverse, et suivant une philosophie proche du Romantisme, les réflexions sur la communauté internationale éliminent les particularismes étatiques, au motif de leur artificialité, pour une multiplicité de petites communautés authentiques ou encore, à l'intérieur d'un grand tout planétaire et organique. Cette dernière conception ne nous permet pas, à notre avis, de penser la communauté internationale comme un ensemble fonctionnel et viable formé d'individualités politiques non réductibles.

Nous aimerions donc conserver l'idée de souveraineté et l'idée de communauté internationale tout en procédant à une relecture conjointe de ces deux termes. Au départ et par un simple renversement de perspective, l'idée de souveraineté ne saurait se penser sans celle de la communauté internationale car la souveraineté n'est pensable que par rapport à une individuation, à une singularisation. Cette individuation passe obligatoirement par la reconnaissance que les autres États donnent des pratiques politiques et institutionnelles d'une nation particulière. La communauté internationale agit à titre de condition indispensable puisqu'elle permet l'individuation et l'individualité des États. Cette individualité qui ne s'accomplit qu'en présence de l'Autre, sous le regard des autres. Face à l'altérité, l'État national réalise sa singularité, il prend conscience de sa condition d'acteur international.

Par conséquent, l'État s'actualise dans la façon dont il se raconte, dans les discours qu'il fait et que les autres font de lui. La mondialisation joue ici un rôle de premier plan, mais dont l'intensité est variable, en transformant les fonctions traditionnelles de l'État-moderne et en élargissant la catégorie des autres pour y inclure des acteurs non étatiques ou transnationaux et les organisations internationales, régionales et non gouvernementales. L'identité étatique se construit par l'utilisation de la rhétorique, de cette constante négociation discursive entre lui, en tant qu'État souverain isolable mais non concevable en termes de monade, et les autres États. Cette rhétorique s'articule au travers des règles juridiques, de leur interprétation et des justifications apportées pour une action ou lors d'un dissensus. Ces discours s'insèrent eux-mêmes à l'intérieur d'un ensemble de pratiques intersubjectives.

En résumé, l'individualité, parce qu'elle exige de se présenter aux autres au travers des discours, de l'utilisation des règles et des pratiques internationales qu'aucun État ne récuse véritablement voire factuellement même si quelques-uns réclament une interprétation différentielle, participe à la construction ininterrompue d'une communauté internationale. Cette unique affirmation suggère une communauté internationale qui existe comme un fait juridique actif et dont le discours peut être, dans bien des cas, porteur de normativité. Ce qui signifie qu'en dehors même de l'emprise d'une souveraineté le plus souvent monadiquement conçue, certains standards communautaires guidaient l'agir et permettaient justement l'autonomie étatique (13). Cependant ces standards communautaires, qui ont permis et renforcent toujours la souveraineté conçue monadiquement, amputent l'étendue d'une normativité indépendante de l'État. Pour justifier la transgression d'une règle, l'État a souvent fait appel à la notion de juridiction exclusive. Il n'y avait pas là, à proprement parler, une justification juridique pour ses actions devant les autres États ou une organisation internationale. Dans ces cas, nous avons assisté à une fin de non-recevoir et à l'avortement par des standards communautaires de la construction d'une communauté internationale interprétative.

L'intensification du discours contemporain qui nomme, nous le disions au tout début, de façon répétitive la communauté internationale, laisse présager un changement dans les standards communautaires. D'où l'urgence d'une réflexion sur la communauté internationale car elle peut véritablement, dans ces moments de bouleversements pratiques et théoriques, influer la forme de ces standards. Ces derniers renvoient, de tout temps, à un ensemble mouvant de pratiques et de discours qui accordent en retour un sens aux sujets et à leurs actions. Ils vont définir la façon dont les individualités étatiques seront appelées à se percevoir, ils vont générer des catégories, des lieux communs qui rendront ensuite le monde intelligible parce qu'étant précisément construit par l'ensemble des acteurs. En ce sens, l'horizon de la communauté internationale n'est jamais donné du fait de la simple existence de phénomènes globalisants. Elle est une construction permanente, mais bien réelle, qui produit son propre sens irréductible à l'univers national.

À l'évidence et pour terminer, la communauté internationale que nous désirons penser s'éloigne de la définition conventionnelle qui la limite à une institutionnalisation politique, sociale et géographique (14). Elle est une communauté, une culture, certes d'êtres artificiels mais réels, une association qui existe en tant que phénomène, bien que souvent inconsciente, et qui autorise la compréhension des événements politiques à l'échelle planétaire et la position des États individuels dans lesquels nous vivons, par rapport à cet ensemble qui constitue l'objet de notre recherche ; la communauté internationale.

IV. Programme de recherche

Après avoir retracé les contours de la souveraineté avec la consolidation de l'État-moderne et, surtout, les conséquences de cette représentation pour le droit international, nous serons en mesure de voir que la souveraineté a été conceptualisée dans l'histoire de telle sorte qu'elle interdisait une communauté internationale.

Il faudra ensuite nous demander si le discours souverain conserve toute sa pertinence dans la compréhension et l'organisation politico-juridique de la scène internationale. En d'autres mots, la souveraineté est-elle toujours nécessaire et, dans l'éventualité d'une réponse positive, est-elle réellement antinomique à une communauté internationale normative? Sinon, comment faut-il articuler une communauté internationale en l'absence de la souveraineté ?

Cette question de la nécessité de la souveraineté est posée inévitablement avec les thèses sur la caducité, l'effritement ou la disparition de l'État. Thèses qui, par ailleurs, coïncident avec l'utilisation de plus en plus répandue du terme de communauté internationale, et confirment de ce fait le mouvement antinomique et oscillatoire entre la souveraineté et la communauté internationale. Si les scénarios sur le dépérissement de l'État et sur le caractère inutile ou indésirable de la souveraineté sont fondés un tant soit peu dans la réalité, quels seront la composition et le fonctionnement de la communauté internationale? D'une manière ou d'une autre, ces thèses soulèvent des difficultés aussi bien théoriques que pratiques et auxquelles il nous faudra répondre. Compte tenu de la diversité et de la quantité des opinions, nous regrouperons pour mieux les traiter les critiques de l'État et de la souveraineté en deux camps.

La première critique, que nous qualifierons préliminairement de sociologique, est étroitement associée au phénomène de mondialisation ou de globalisation. Après avoir circonscrit ce phénomène au domaine factuel, nous constaterons que la mondialisation bouleverse effectivement le fonctionnement traditionnel et le discours souverain de l'État, ainsi que la production du droit. Néanmoins, cette mondialisation factuelle et involontaire ne nous dit rien en soi sur les fondements possibles d'une communauté internationale normative. De plus, elle ne signifie pas automatiquement l'évanescence de l'État-moderne. Le champ d'action de l'État semble plutôt se déplacer, et non s'évanouir, alors que la production du droit tend vers un modèle de régulation, par opposition au modèle hiérarchique et positiviste.

La deuxième critique de l'État-moderne et de la société internationale relève des préoccupations éthiques et regroupe autant les tenants d'un droit cosmopolitique que les tenants d'un communautarisme. Si cette critique de l'État fournit des éléments sérieux et indispensables, qu'il nous faudra départager pour une relecture de la souveraineté, les pensées cosmopolitique et communautarienne ne nous permettent pas, à elles seules, de fonder une communauté internationale. Au-delà de certains problèmes intrinsèques qu'elle implique, la pensée cosmopolitique repose sur l'extension mondiale de l'État de droit libéral et démocratique. Étant donné, au bas mot, que la grande majorité des États ne répondent pas à cette condition, cette pensée demeure inapplicable ici et maintenant. De la même façon, les critiques communautariennes ne rencontrent pas le critère fonctionnel. Elles évacuent, de surcroît, les fondements d'un ordre juridique international pour une morale de l'authenticité culturelle, ethnique, religieuse ou autres, qui peuvent entraîner des conflits potentiels entre particularismes. Pour avoir évacué le forum juridique susceptible de les résoudre, ces conflits seront appelés à se perpétuer.

À l'inverse, nous postulerons la perduration pour un temps indéfini de l'État et il demeurera, par conséquent, une unité d'analyse primordiale pour nos recherches sur les fondements philosophiques et juridiques d'une communauté internationale. Toutefois, ce postulat devra accueillir, d'une part, les transformations factuelles de l'État engendrées par la mondialisation et, d'une autre part, les critiques cosmopolitique et communautarienne de l'État. Forts de ces éléments pratiques et théoriques, nous pourrons procéder à une relecture de la souveraineté face à la nécessité de penser la communauté internationale, et lever ainsi le voile antinomique entre ces deux concepts. C'est en vue de lever une telle antinomie que nous entreprendrons une réflexion renouvelée sur les fondements philosophiques et juridiques de la communauté internationale à l'aide, notamment, de la philosophie de l'interprétation et de la phénoménologie.

 

NOTES :

(1) Jürgen HABERMAS, La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée kantienne, Paris, Ed. du Cerf, coll, "Humanités", 1996. Cette idée est reprise par Mireille DELMAS-MARTY, Trois défis pour un droit mondial, Paris, Seuil-Essais, 1998 et pressentie par R. GAETE, "Rites of Passage into the Global Village", (1995) VI Law and Critique 113.

(2) Josiane BOULAD-AYOUB, Mimes et parades. L'activité symbolique dans la vie sociale, Paris, L'Harmattan, coll. "La philosophie en commun", 1995.

(3) 1999 C.N.U.C.I.O., vol 15, p. 365; [1945] R.T. Can. n°7. Voir , par exemple, Bardo FASSBENDER, "The United Nations Charter as Constitution of the International Community", (1998) 36 Columbia Journal of Transnational Law 529.

(4) Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, Doc. off. A.G., 25e session, supp. n°28, p. 131, Doc. N.U. A/5217 (1970).

(5) Doc. N.U. A/50/1027, Annexe, 26 août 1996.

(6) Projet de création d'une cour criminelle internationale, Rapport de la C.D.I. sur les travaux de sa 46e session (1994), Doc. off. A.G., 49e session, Supp. n°10 (A/49/10), pp. 47-178.

(7) Pour une revue de la littérature qui souligne précisément l'absence d'antinomie chez ces auteurs, voir David KENNEDY, "Primitive Legal Scholarship", (1986) 27 Harvard International Law Journal 1; Antonio TRUYOL Y SERRA, Histoire du droit international public, Paris, Economica, coll. "Droit international", 1995.

(8) La Convention de Vienne sur le droit des traités, (1980) 1155 R.T.N.U. 354; [1980] R.T. Can. n°37 fait du consentement la pierre cardinale des relations contractuelles entre les États. Alors que la théorie du consentement a dû subir par ailleurs de véritables contorsions pour expliquer la coutume de façon plus ou moins satisfaisante. Voir par exemple Hans KELSEN, "Théorie du droit international public", (1953-III) Recueil des cours de l'Académie de droit international 5 et Serge SUR, "La coutume internationale. Sa vie, son oeuvre", (1986) Droits 111.

(9) Voir Martti KOSKENNIEMI, From Apology to Utopia. The Structure of International Legal Argument, Helsinki, Lakimiesliiton Kustannus Lawyers' Publishing Co., 1989.

(10) Pour un résumé concis et efficace de ces approches voir, Martti KOSKENNIEMI, "The Wonderful Artificiality of State", (1994) Proceedings of the 88th Annual Meeting of the American Society of International Law 22.

(11) Voir à titre d'exemple l'argumentation de F.R. TESON, "Realism and Kantialism in International Law", (1992) 86 American Society of International Law Proceedings 113 et "The Kantian Theory of International Law", (1992) 92 Columbia Law Review 53.

(12) Cette exigence communautarienne sous-tend les revendications internationales autochtonistes, pour ne nommer que ceux-là.

(13) Pensons ici aux règles incontournables sur l'égalité souveraine et l'indépendance des États, la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, l'interdiction de la menace ou de l'emploi de la force et la légitime défense.

(14) S.L. WINTER, "Contingency and Community in Normative Practice", (1991) 139 University of Pennsylvania Law Review 963.