MONDIALISATION ET DÉMOCRATIE : ÉVALUATION DE LA PARTICIPATION NORMATIVE DES OING À LA GOUVERNANCE GLOBALE Gaëlle Breton-Le Goff «International NGOs, because they are international civil society, are therefore a force for democratizing international relations and international institutions and, moreover, the authoritative bearers of word opinion. They are therefore the legitimate representatives in the international sphere of people in the world, in a way in which their states, even democratic states, and their state representatives, are not.» (1) Appelée à présenter un papier dans le cadre d'une Table-Ronde intitulée Démocratie et Mondialisation, il m'a paru intéressant à ce stade de ma recherche (2) de me pencher sur les liens entre les relations internationales (RI) et le droit international. Jusqu'à récemment les deux disciplines étaient éloignées l'une de l'autre, et la référence faite par les professeurs de droit international aux courants théoriques des RI lorsqu'elle existait - se bornait à souligner leur existence comme «doctrines remettant en cause l'existence d'un ordre juridique international» (3). Pourtant, bien que gardant une distance scrupuleuse, les deux disciplines partagent le sens de l'idéal étatique et de sa suprématie (4). Certes quelques éminents juristes (5) ont bien tenté de questionner l'omnipotence de l'État, et d'attirer l'attention sur le rôle des individus dans le droit international et dans les RI, cependant ils échouèrent à convaincre les partisans du volontarisme étatique, qui finirent par imprégner très profondément la discipline du droit international. Finalement ce sont les auteurs des RI des années 70, ceux appartenant aux écoles de la gouvernance globale et des régimes, qui les premiers ont réagit aux phénomènes de mutation du monde. En questionnant la centralité de l'État dans les relations internationales, ils ont encouragé l'étude des relations extra-étatiques et reformulé la question de la formation des normes. Dans ces mouvances théoriques (6) de l'interdépendance complexe et de la gouvernance globale, et plus particulièrement pour l'un de ses défenseurs les plus connus, James N. Rosenau, les «individus en mouvement» apparaissent comme «des sources de turbulence globale» (7). Dotés de meilleures capacités analytiques, les individus développeraient de plus grandes aptitudes à l'articulation de leur opinion. Ils seraient à la recherche de modes d'expression et d'action qui dépassent la circonscription des sociétés étatiques incapables désormais de répondre aux attentes, aux aspirations et aux besoins de leurs citoyens. Dans ce contexte de crise de l'État (8) et de critique du modèle représentatif de la démocratie (9), il se développerait alors de nouvelles formes de citoyenneté dépendantes de l'évaluation que chaque citoyen fait de l'importance de sa propre personne par rapport à sa société d'appartenance (l'orientation préférentielle) et de sa capacité à influencer le système. Renforcés dans leur sentiment subjectif de compétence politique (10), les individus se tournent vers les organisations non-gouvernementales; dès lors «La société civile apparaît comme le lieu possible d'un véritable projet démocratique» par opposition à un État bureaucratique, égocentrique et liberticide (11). Les organisations non gouvernementales (ONG) se présentent et sont présentées comme les instruments de cette émancipation citoyenne qui rend entre autre chose possible l'intervention de l'individu dans la formulation des normes applicables aux États. Les théories américaines de la gouvernance globale développées par les auteurs des Relations internationales permettent non seulement de dépasser les obstacles que constituent la souveraineté de l'état et la personnalité juridique, mais également d'accréditer la thèse d'une nouvelle conception, celle de la «démocratisation du droit international» dans le sens d'un changement des processus d'élaboration du droit qui le rendrait plus démocratique (12). Le but de cet article est donc de répondre à la question suivante : les dynamiques (mécanismes) d'influence qui existent dans la théorie de la gouvernance globale permettent-elles réellement de démocratiser les processus de formation du droit international ? Aussi cet article développera les formes des dynamiques d'influence (aussi appelées les formes de participation à la gouvernance globale) développées par les ONG (II) pour ensuite démontrer les obstacles que rencontrent ces dynamiques d'influence dans leur tentative de démocratiser le processus d'élaboration du droit (III). Toutefois avant de répondre à cette question il me semble nécessaire de donner au lecteur quelques repères (I), notamment en ce qui a trait au positionnement théorique de l'auteur et à la définition des concepts. I - Repères A) Positionnement théorique de l'auteur ou hypothèses de départ. Pour plus de clarté, il me semble nécessaire de me positionner dans ce débat transdisciplinaire. S'interroger sur les phénomènes de la gouvernance globale revient à accepter certaines hypothèses de départ : l'interdépendance du monde, des communications, des échanges et des économies, l'accélération des technologies et à l'universalisation des impacts que produit l'ensemble des activités humaines. Les démocraties existantes, le mouvement initié par les Nations Unies pour la démocratisation, l'éducation, l'expansion du mouvement des droits de l'Homme et des valeurs qu'il véhicule, la prise de conscience croissante des individus quant aux menaces environnementales ont favorisé l'émergence (13) de nouveaux acteurs internationaux ainsi que l'apparition de nouveaux espaces politiques comme lieux d'expression des inquiétudes des citoyens, mais aussi de leurs intérêts. Le droit international ne m'apparaît plus comme le résultat d'une stricte séparation (étanchéité) entre ordres juridiques interne et ordre juridique international, ni comme un droit strictement horizontal. Il me semble plutôt que nous assistons à un réaménagement de l'espace international qui permet aux acteurs internes de dépasser les frontières nationales géographiques, juridiques et politiques pour faire d'un monde inter-national un monde trans-national (Marcel Merle). Acteurs parmi d'autres, les organisations internationales non gouvernementales (OING) et les ONG influenceraient diversement et variablement la formation et l'évolution de la norme internationale (14). Dans ce contexte l'État ne me semble ni en voie de disparition, ni un phénomène en érosion, il est simplement confronté à d'autres acteurs qu'il a lui-même contribué à créer, et qui servent ou desservent ses intérêts sur le plan international (15). La société internationale actuelle est un monde de paradoxes qui met en lumière la présence et l'influence croissante de d'acteurs non-étatiques (prétendument nouveaux) (16), tels que les Organisations Internationales (OI), les ONG et le monde des affaires, lesquels interfèrent dans le dialogue entre États, tout en restant fondamentalement ancrée sur les principes juridiques de la souveraineté territoriale et de la personnalité juridique internationale qui ne reconnaît que les États comme seuls sujets de droit international (17). C'est toujours dans un même souci de clarté que je souhaiterai définir les termes suivants : gouvernance globale, acteurs, d'ONG et de démocratie. B) Définitions :
II - Formes de la participation des ONG à la gouvernance globale ou dynamiques d'influence des ONG Parmi les mécanismes de contrôle de la gouvernance globale qu'expose James N. Rosenau, trois catégories récurrentes de canaux nécessaires à leur mise en place ressurgissent de son analyse : les mécanismes créés par les États (les institutions internationales classiques), les mécanismes parrainés conjointement par les États et les OI (entre autres, les régimes) et les mécanismes qui échappent au contrôle des États (les ONG et les mouvements sociaux transnationaux). La réflexion de Rosenau sur ce point me permet de dégager des schémas d'analyse pour une étude plus focalisée sur l'influence des ONG (33). De ce fait je classerai ces différentes formes de participation à la gouvernance ainsi : les formes de participation institutionnalisées par les États, les formes de partenariat avec les États et les OI (coopératives ou conjointes) et les formes de participation émancipées des États ou des OI. Bien que cette classification ne puisse qu'être artificielle et superficielle car toutes ces formes de participation sont liées les unes aux autres par un tissu de liens plus ou formels, le plus souvent informels, et même officieux (34), elle a pour mérite de structurer la connaissance et d'aider à la compréhension de notre propos. A) Les formes de participation institutionnalisées. Les institutions internationales : quelque soit le nom donné à cette participation (relations de travail, statut consultatif, statut d'invité), et quelque soit la nature de l'institution qui noue des relations avec les ONG : l'ÉCOSOC, les organes des Nations Unies (OMS, FAO, Unesco), les organisations régionales telles (le Conseil de l'Europe ou l'OUA), les organisations plus réduites ou spécialisées telles que le Système du Traité Antarctique, ces règles ont pour but d'aménager la participation des ONG au travail de ces institutions internationales. Elles définissent les critères de sélection des ONG, les procédures d'attribution du statut, et le contenu de leur participation (l'accès, la communication des documents, l'émission des documents par les ONG, l'ajout d'une question à l'ordre du jour, la prise de parole et le temps de parole). Ces règles sont formelles et souvent assez complètes. Les institutions internationales attendent en général une contribution significative des ONG à leur travail et aménagent des procédures de révision des relations de travail. Les conférences diplomatiques : plus connues sous l'appellation de «statut d'observateur», les règles visées dans ce cadre sont les mêmes que dans le cadre des institutions, à l'exception du fait que ces règles sont généralement déterminées sur une base ponctuelle, et que leur contenu diffère d'une conférence à l'autre (conférence de Vienne et conférence de Rio étaient différentes). Cependant, on observe dans le cadre des NU, un l'élargissement des règles d'accès aux conférences des NU depuis le sommet de la Terre à Rio en 1992 qui s'est traduit par l'admission de toute ONG, en plus de celles dotées du statut consultatif de l'ECOSOC, ayant un intérêt dans les matières traitées par la conférences matières qui étaient au demeurant fort générales-, et que cet élargissement a conduit à une réforme des règles institutionnelles mises en place par l'ÉCOSOC. Les réunions formelles qui se tiennent dans le cadre des institutions internationales sont en outre l'occasion pour les ONG et les OING de nouer des contacts personnels avec les délégués gouvernementaux ou les bureaucrates, d'approcher des gouvernements qui d'ordinaire sont difficiles d'accès, de rendre service à certains groupes d'États, de participer à des évènements de médiatisation et d'éducation, de se réunir et de définir des agendas et des stratégies. B) Les formes de participation coopératives (conjointes) avec les États ou les OI. Ces formes de coopérations conjointes ou coopératives sont multiples et concernent tous les types de relations, formelles ou informelles, qui pourraient exister entre les ONG et les États ou, entre les ONG et les OI. Des ONG ou une coalition dONG travaillent sur un projet et obtiennent des gouvernements et /ou des OI un appui ou un soutien : un financement pour organiser et publier les résultats d'une conférence ou de séminaires, des facilitées de fonctionnement pour l'organisation de conférence (locaux, des ordinateurs, des moyens de communication), le parrainage de diverses activités et manifestations. Dans le cas de la Convention relative à l'interdiction de l'utilisation des mines antipersonnel signée à Ottawa en décembre 1998, les 8 États à l'origine du processus de négociation et la Coalition pour l'interdiction des mines antipersonnel (ICBL) ont travaillé main dans la main. La coalition et le gouvernement canadien ont travaillé ensemble à l'organisation des conférences, à la détermination des ordres du jour, des règles de procédure et même à la rédaction du communiqué final de la première conférence à Ottawa (1997). Dans d'autres cas l'alliance avec les États peut prendre la forme d'intégration d'un représentant des ONG dans une délégation nationale, ce que le Canada pratique assez facilement (la Convention sur la Diversité Biologique, le Protocole sur la prévention des risques biotechnologiques, les négociations sur les mines dans le cadre des conférences des NU sur le désarmement qui se sont tenues à Vienne). Il peut même arriver que la délégation nationale soit représentée, pour les États les plus petits, par des personnes privées (35). Les ONG peuvent également intégrer un programme de recherche scientifique mis en place par des OI et produire des documents et des recommandations. Ainsi la création d'un programme de recherche conjoint avec une ONG scientifique qui occupe une position privilégiée auprès d'une organisation internationale (SCAR : Comité Scientifique pour la recherche en Antarctique) peut-elle offrir une porte d'entrée pour la propagation des idées des ONG nouvellement associées (36). Elles peuvent également agir ou intervenir comme conseil auprès du secrétariat d'une conférence : dans ce cadre les ONG peuvent aider le secrétariat de la conférence à fixer les ordres du jour en apportant les résultats des consultations organisées dans la communauté scientifique ou dans la communauté des ONG (37). C) Les formes de participation émancipées (qui échappent aux États) Il s'agit des cas où les ONG agissent de façon indépendante des États ou des OI. Elles vont agir dans des cadres qui parfois sont prédéfinis par les États et les OI, mais qui restent en dehors du contrôle (pouvoir, maîtrise) des États ou des OI.
Ce tour d'horizon des mécanismes d'influence, qui vont parfois au-delà de l'influence lorsque les ONG agissent directement devant les tribunaux internationaux, nous montre que la présence des ONG sur la scène internationale est envahissante. Ce panorama nous confirme l'hypothèse, s'il en était besoin, que leur intervention sur le droit international s'opère à plusieurs niveaux (national, international et transnational), envahissent différentes sphères de la société (le politique, le diplomatique, le juridique, le judiciaire, le social), empruntent différents canaux (institutionnels, judiciaires, non gouvernementaux, semi-gouvernementaux) et s'appuie sur différents supports inter-relationnels : du procédurier (CEDH, TPI, tribunaux internes), à l'officieux (les liens personnels que certains dirigeants d'ONG ont avec des chefs d'états ou des juges internationaux) en passant par le formel institutionnel (les OI), le semi-formel (les forums et les tribunaux des ONG, coalition), et l'informel (liens entre ONG, le lobbying). Peut-on pour autant déduire de ce constat que la présence des ONG est un facteur de démocratisation dans la façon dont le droit international est créé? III - Les problèmes posés par la participation normative à la gouvernance globale: l'illusion démocratique La participation des ONG à la gouvernance globale soulève
plusieurs problèmes sous l'angle de la démocratie, c'est
à dire de la participation des individus au débat mondial
et à l'élaboration du droit international (41).
Ces problèmes portent aussi bien sur la représentativité
des ONG appelées à intervenir sur la création de
la norme, sur l'effectivité de leur participation aux institutions
internationales et de la qualité de leurs liens avec les États,
que sur le résultat normatif de cette participation. A) Qu'en est-il de la représentativité et de la légitimité des ONG? La voix des peuples du Monde ? - Nous avons déjà évoqué précédemment que les ONG sont présentées à l'heure actuelle par un certain discours politique «comme le lieu possible d'une véritable participation politique des individus et de l'expression non manipulée d'intérêts propres aux citoyens?» (42). Outre les doutes qu'entretient Dominique Leydet quant à l'autonomie des ONG face aux systèmes étatiques, au caractère véritablement démocratique de ces organisations et au concept limité de démocratie qu'implique cette affirmation, je souhaiterai évoquer deux autres limitations qui m'apparaissent des plus sérieuses quant à l'illusion démocratique qu'entretient la présence des ONG sur la scène juridique internationale. La première d'entre elle, et la plus évidente tient à la «nationalité» des ONG actives sur la scène internationale. Le déficit des ONG «du Sud» (43) est incontesté, et la prédominance des ONG occidentales est une réalité que les efforts financiers des institutions internationales et des réseaux d'ONG ne suffisent pas à réduire (44). Les ONG «du Sud» n'ont ni les moyens financiers suffisants, ni le personnel adéquat, ni les institutions démocratiques nécessaires à une participation à la gouvernance globale à la hauteur des populations qu'elles sont censées représenter (45). Non seulement le nombre des ONG «du Sud» est largement inférieur à celui des ONG «du Nord» mais leur présence dans les forums de négociation internationale est épisodique et fragmentaire (46). L'effacement des ONG «du Sud» n'est pas sans conséquence sur le plan normatif. Dans la mesure où l'on reconnaît que les normes ne sont pas dépourvues de valeurs (47), on peut légitimement supposer que les valeurs véhiculées par les ONG dans leurs actions normatives sont des valeurs qui appartiennent au monde occidental (48). C'est d'ailleurs ainsi que certains des concepts défendus par l'ONG féministe américaine Women's Caucus for Gender Justice tels que la grossesse forcée et le genre se sont heurtés à l'opposition des États, notamment du Vatican et des États arabes, mais également des ONG membres de la coalition pour la Cour pénale internationale (49). La confrontation a été encore plus âpre lors de la négociation de la question du genre (50). Ce concept issu de la théorie féministe tend à élargir le concept de la non-discrimination sexuelle reconnu par le mouvement des droits de l'homme par le biais d'une définition qui repose sur l'identification de la perception du rôle et de la place d'un individu dans la société (51). La nécessité d'incorporer la notion de genre dans le statut de Rome était mal compris par de nombreuses délégations, y compris par celles qui ne s'opposaient pas directement à son inclusion (52). D'ailleurs le terme de genre ne fut pas intégré en tant que tel dans le statut. Toutefois une disposition spécifique lui est consacré : «Aux fins du présent Statut, le terme sexe s'entend de l'une ou de l'autre sexes, masculin et féminin, suivant le contexte de la société. (53)» Mais au-delà de ce problème posé par l'identité des participants à la gouvernance globale, il existe un autre problème qui serait posé par l'existence «une élite intellectuelle internationale.» Le second aspect qui me semble important est relatif au processus intellectuel d'élaboration des normes qui sape le mythe de la démocratisation du droit international. Certaines ONG sont des lieux d'élaboration et de rédaction des normes (54). Un certain nombre de négociations récentes ont montré que les ONG avaient rédigé et fait circuler leur propre projet de convention (55). De plus, comme nous l'avons déjà dit, les ONG sont présentées comme un moyen de démocratiser la façon dont le droit est créé (56). Or si l'on croit Kenneth Anderson, ancien directeur de la division de l'armement de l'ONG Human Rights Watch, l'une des explications à la bonne réceptivité du discours véhiculé par les ONG dans les milieux institutionnels internationaux réside dans leur adhésion aux théories politiques plus ou moins inspirées du discours politique existant autour de la doctrine des mouvements sociaux et de la société civile (57). L'adhésion à ce mouvement de pensée résiderait selon cet auteur dans la crise de légitimité que connaissent les organisations internationales (58). Lorsque les élites bureaucratiques, élevées dans le mythe du légalisme juridique, ont le sentiment que leurs organisations internationales n'ont plus la légitimité populaire et mondiale nécessaire à la poursuite des fonctions qui leur ont été attribuées, elles se tournent alors vers d'autres élites internationales, celles qui ont des liens avec «le peuple international» : les ONG. Ainsi le processus de légitimation est symbiotique si bien que les élites bureaucratiques se légitiment mutuellement. Qu'importe que les partenaires non-gouvernementaux ne représentassent pas réellement leur base, ils en projettent l'image et cela est suffisant. «International NGOs collectively are not conduits from the people' or the masses' or the world citizenship' from the bottom up'. They are, rather, a vehicle for international elites to talk to other elites about the things frequently of undeniable importance that international elites care about. The conversation is not vertical, it is horizontal. (59)» La critique ainsi formulée est certes incisive et quelque peu caricaturale, elle n'est en pas moins totalement dénuée de fondement (60). Une analyse attentive des négociations internationales et notamment de celles ayant été présentées comme des partenariats heureux entre ONG, OI et États ou des succès pour les ONG tel est le cas de la Convention d'Ottawa et du Protocole de Madrid - montrent l'existence d'un certain langage commun aux deux «communautés» et parfois même un alignement des concepts et des termes proposés par les ONG sur ceux des États. Alors que les ONG apparaissent traditionnellement comme des forces dopposition et de contestation, particulièrement dans ses expressions les plus spectaculaires à Seattle, Davos ou Gênes, elles sont en fait beaucoup plus subtiles que cela, et prêtes, si nécessaire, à rechercher le consensus pour remporter un succès. La critique développée par Kenneth Anderson, est en fait celle qui pourrait s'appliquer à toutes les communautés d'experts. Elle correspond à une certaine réalité - particulièrement évidente dans le cas des groupes informels et très spécialisés, créateurs de droit tels que ISS (International Social Service, une ONG qui travaille dans le domaine de l'adoption internationale d'enfant) -, elle n'est cependant pas entièrement fondée dans le cadre des négociations internationales généralistes car elle mésestime les dynamiques de leur négociation. L'analyse en se focalisant sur le rôle des élites en oublie un peu vite les autres données telles que les enjeux des négociations, la diplomatie internationale, les intérêts des États, l'existence de groupes d'experts concurrents, la présence d'ONG aux idées différentes (61), et le fait que l'État, en dernier recours reste le seul et unique décisionnaire et arbitre. Pas plus les bureaucrates internationaux que les représentants des ONG n'ont le pouvoir d'engager l'État, tant en matière de traité, qu'en matière de droit coutumier. Sans pour autant rejeter les affirmations de K. Anderson relativement à l'instrumentation des ONG comme facteur de légitimation des institutions internationales, nous devons reconnaître que cette recherche de légitimité n'est apparue que récemment avec le discrédit grandissant des institutions internationales et la main-mise des Etats-Unis sur l'Organisation des Nations-Unies. La critique doit donc être prise pour ce qu'elle est, une donnée par d'autres. Toujours est-il que les ONG, en plus de formaliser leurs idées et leurs valeurs, doivent aussi accéder aux décideurs afin de tenter d'influencer la norme. Pour ce faire les ONG utilisent les règles d'accès mises en place par les OI et les États, lesquelles semblent de plus en plus souples, une apparence que dément la réalité. B) La participation des ONG à la gouvernance : une effectivité tronquée. Le thème abordé dans cette partie traite des questions de la sélection des ONG, et de leur liberté d'action et de parole. On ne peut que se féliciter de l'élargissement des critères de participation des ONG aux institutions internationales onusiennes quand bien même cela a donné lieu à quelques dérapages (62). Néanmoins l'existence de critères précis et de procédures formalisées constitue une garantie (63) limitée dans la mesure où il n'existe pas droit de recours en cas de refus d'accréditation. Par conséquent les décisions de ces institutions sont arbitraires, irréversibles et sans appel. Par ailleurs, il demeure encore des secteurs du droit international qui résistent fortement à l'intrusion des ONG, qu'elles soient des ONG de «défense» ou des ONG du monde des affaires. Tel est le cas notamment des domaines financiers et monétaires internationaux, de certaines institutions économiques internationales (l'OMC) qui affichent une bonne volonté de façade tout en limitant au maximum les liens formels avec les ONG (64). Entre ces deux types de relations, il existe des situations intermédiaires à l'exemple de ce qui se passe dans le «club» antarctique (système du Traité antarctique), ou dans le cadre des formes conjointes de gouvernance qui relèvent de la coopération entre ONG et États et ONG et OI (inclusion des ONG dans une délégation nationale ou expert conseil auprès d'une OI). Dans ces cas, la sélection des ONG est de la compétence exclusive des États ou du secrétariat de l'OI. L'octroi du statut d'observateur ou de l'accréditation reste donc du domaine de l'arbitraire et de la volonté des États. Parallèlement à l'octroi de l'accréditation, se pose la question de l'accès aux salles de conférences et de la capacité de s'exprimer. Les conférences de Rio, de Beijing et de Vienne ont compliqué l'action des ONG en accumulant les obstacles logistiques : éloignement des lieux de réunion des ONG des lieux de conférence, réduction du nombre de places dans les salles de négociation, limitation de l'accès au matériel informatique (65). Plus récemment la tendance en la matière et l'une certainement des plus préoccupantes quoique parfaitement compréhensibles est celle de la limitation de la prise parole des ONG au sein des assemblées plénières. Cette restriction est à la fois une restriction du temps de parole et une restriction du nombre d'orateurs. Il est ainsi demandé aux ONG environnementales et autres, ainsi qu'à leurs opposants de désigner chacun un représentant (66). Bien entendu, il faut ajouter à cela l'absence d'accès généralisé à l'ensemble des salles de négociation en raison du caractère diplomatique des réunions, ainsi que les incidents de séance qui conduisent à l'exclusion des ONG du processus de négociation. Comme toute critique, cette énumération d'obstacles peut sembler exagérée et simplificatrice. Toutefois son objectif est simplement de signaler qu'il y aurait de la naïveté à croire que l'accès aux institutions internationales garanti une participation de qualité au débat public. De la même façon, l'élargissement de la participation n'est pas un gage de succès normatif. C) Multiplication des ONG, dilution de l'influence, dilution des normes : problèmes structurels et risque normatif. Certaines analyses montrent que la multiplication des ONG sur la scène internationale, quelle que soit la forme de leur participation à la gouvernance globale, entraîne une dégradation de leur capacité d'influence ainsi qu'un risque de dilution du contenu de la norme. - Multiplication des acteurs et dilution de l'influence : approche politique. Michael Nicholson, dans son étude sur les structures de la société internationale montre parfaitement le phénomène de dilution de l'influence qu'il appelle «le paradoxe de la participation» (67). Il évoque les processus de prise de décision dans un monde structurel de type complexe, composé d'acteurs dominants (les États) et d'acteurs secondaires (les membres de ces États, les organisations, les entreprises). Il constate que les gouvernements sont de moins en moins capables d'exercer une médiation quelconque dans les interactions entre les unités placées sous leur juridiction et les autres, et que des liens directs entre les membres des États ont tendance à se multiplier. En s'appuyant sur la théorie des jeux, il prétend que l'incertitude et l'imprévisibilité des acteurs dans un système aléatoire rend toute prise de décision hypothétique. Autrement dit, pour être influençable un système doit dans une certaine mesure être prévisible, sans pour autant être totalement déterminé. Par conséquent dans un système, tel que le monde contemporain, où les acteurs se multiplient, se diversifient, et adoptent des comportements imprévisibles, il devient de plus en plus difficile d'anticiper sur des scénarios décisionnels probables. Il s'agit là du paradoxe de la participation : moins les membres d'un système sont nombreux et hétérogènes, plus le système est ordonné et les conséquences d'une situation particulière prévisibles; plus le système s'ouvre à de nouveaux membres plus il devient difficile de prédire et, du coup d'entreprendre une action efficace (68). Un tel scénario est réaliste. Deux exemples viennent illustrer ce propos : la négociation du Traité d'Ottawa pour l'interdiction des mines antipersonnel était dominée par la présence d'une seule coalition d'ONG qui présentait un discours commun et unifié qui n'a rencontré aucune opposition ouverte de la part d'autres ONG (69) ou des fabricants de mines. À l'inverse la situation était totalement différente lors de la négociation du Protocole sur la limitation des risques biotechnologiques. Les couloirs de la conférence étaient peuplés de multiples ONG de toutes tendances ayant chacune leurs revendications et représentant les intérêts de diverses communautés : environnementales, scientifiques, indigènes, tiers-mondistes, alimentaires. Face à elles, se trouvaient des entreprises multinationales de la biotechnologie qui représentaient une force non négligeable dans la mesure où elles étaient nombreuses, économiquement puissantes et surtout soudées autour d'arguments identiques. Qui plus est, ces entreprises multinationales se sont positionnées dans ce débat comme les seules véritables expertes de la biotechnologie. Elles ont développé la technologie en laboratoire, elles l'ont appliquée en milieu naturel, et elles en ont défini les normes d'exploitation. Certes ces éléments ne suffisent pas à eux seuls à justifier la faiblesse de l'influence des ONG dites de défense sur cette négociation, mais ils contribuent à son explication. Dans ce contexte la question se pose alors de savoir si la réunion des ONG en coalition permet d'échapper à cette érosion des dynamiques d'influence ? La présence d'un seul et unique interlocuteur permettrait-elle de réduire le nombre d'acteurs non-étatiques, d'offrir un discours commun, et par ricochet de maintenir la capacité d'influence sur les acteurs du système ? L'expérience montre qu'à priori dans certaines circonstances la réponse est positive, notamment en l'absence de forces d'opposition importantes, en présence d'un fort soutien des OI, le tout accompagné de la promesse de marchés plus rentables que ceux déjà existants (le marché du déminage a un potentiel bien plus important que celui de la fabrication des mines, ce qui explique la reconversion des fabricants de mines en entreprises de déminage). Par ailleurs quant est-il de la qualité de la norme (70)? - Multiplication des acteurs et risque de dilution de la norme : approche juridique Le risque de dilution de la norme serait causé par deux tendances. Elle serait tantôt le fait des ONG, tantôt le fait des États. L'étude de quelques négociations internationales nous montre que l'un des facteurs de succès de l'influence normative des ONG réside dans la contiguïté des concepts et des normes proposées par les projets de convention rédigées par les ONG avec les intérêts des États. Plus les normes proposées répondent aux intérêts des États, meilleure sera leur captation par les États et leur intégration dans le texte officiel. Par conséquent la meilleure façon pour une ONG d'influencer l'élaboration des normes est de travailler sur la base d'acquis normatifs historiques et de certitudes quant au positionnement des États dans cette négociation (facteurs qui sont souvent exogènes), ce qui implique une étroite relation entre les États et les ONG. Les ONG peuvent alors capitaliser sur ces informations et proposer un projet de convention qui tout en faisant état de leurs valeurs s'alignera sur les États. La négociation de la Convention d'Ottawa est un excellent exemple de ce phénomène que l'on pourrait qualifier ce phénomène d'alignement de la norme (71). Lorsque l'on décortique le processus de négociation de la convention d'Ottawa, on s'aperçoit que le texte élaboré par la coalition a été proposé suite aux discussions des ONG avec les huit États qui avaient pris la tête de la négociation. A contrario, la proposition de convention sur la biosécurité rédigée par l'ONG Community Nutrition Institute était si novatrice, jusqu'au-boutiste, contraignante et contraire aux intérêts des États, qu'elle fut rapidement oubliée, y compris par les ONG écologistes qui pourtant défendaient les même principes de précaution, de sécurité alimentaire et sanitaire, de préservation de la diversité biologique et génétique. Mais la dilution de la norme n'est pas seulement le fait des ONG, elle est aussi celui des États. En réalité plus que de dilution de la norme, il s'agit d'une manipulation des concepts et des idées apportés par les ONG pour répondre aux intérêts des États : ce que l'on pourrait appeler le détournement des valeurs. Il suffit par exemple de comparer l'esprit du projet de convention sur la protection de l'Antarctique proposé par la coalition d'ONG ASOC (Antarctic South Ocean Coalition) avec le résultat du Protocole de Madrid pour comprendre que les concepts de protection, de gel d'exploitation et de précaution n'ont été repris que pour assurer la survie du système Antarctique qui traversait dans les années 1980 une très forte crise de légitimité, en répondant aux inquiétudes de l'opinion publique internationale alertée sur de prétendus périls environnementaux (72). Le principe de précaution tel qu'il était prévu par l'ASOC devait comme son nom l'indique prévenir et garantir contre les risques de pollution, et non comme il a été formulé pour corriger les effets polluants d'une activité. Sa conception avait un but préventif et non curatif. Le Protocole de Madrid se positionne clairement dans une logique d'exploitation, ce qui est notamment clairement illustré par l'article 25 du Protocole relatif à la possibilité qu'aurait n'importe quel État membre de réouvrir la question de l'exploitation des ressources minières au terme de cinquante années, tandis que le Projet de l'ASOC se positionnait dans une logique de conservation et de gestion éclairée. L'action des ONG sur le Protocole de Madrid est souvent présentée par les ONG et les États comme un succès, mais elle n'est souvent qu'un instrument de légitimation financière pour les ONG et de légitimation politique pour les États de l'ATS (73). Nous ne devons pas oublier que le processus de fabrication du droit est
un processus qui relève non seulement de la seule volonté
des États mais des nécessaires ajustements entre les intérêts
des États, les exigences du droit international existant, les réalités
économiques, les pressions de l'opinion publique et les incertitudes
scientifiques. La présence des ONG internationale et la multiplicité
des formes de leur action n'est qu'une composante de ces facteurs. Conclusion Il y aurait donc de la naïveté à croire que la seule présence des ONG sur la scène internationale permet de «démocratiser» le droit. Il y aurait également une responsabilité à laisser dire que les ONG démocratisent le droit. Tout d'abord en raison des obstacles que nous avons décrit, mais également parce que cela traduit une vision exagérément focalisée sur une dynamique d'influence parmi d'autres dans la société internationale qui pourrait conduire à sous-estimer l'action des autres acteurs de la société internationale (les États, les OI, les entreprises multinationales et autres), et surtout à délaisser les éléments traditionnels d'explication des comportements des acteurs étatiques qui existent dans les théories réalistes des relations internationales. Par ailleurs, outre le fait que cette croyance ne corresponde pas à la réalisation d'un projet politique démocratique mondial qui suppose à la fois le délibératif et le représentatif, elle se heurte à l'obstacle incontournable de la pratique du droit international : celui de la souveraineté de l'État. Il n'existe pas de doute quant au fait que les ONG influencent parfois la formation du droit international, participent à l'émergence de certaines questions à l'agenda diplomatique international, dynamisent le système judiciaire international et se font l'écho des inquiétudes des citoyens. Nous pouvons donc affirmer qu'il existe un élargissement de la scène internationale, et même d'une certaine porosité des institutions politiques et juridiques internationales aux arguments des ONG. Cependant il me semble qu'en l'absence de participation de l'ensemble des acteurs de la scène internationale (du sud et de l'Asie, des plus riches comme des plus pauvres), et en présence de la persistance d'un niveau de représentation nationale qui ne reflète pas les intérêts transnationaux des ONG et qui détient le monopole de la décision en matière normative sur une base territoriale, il est difficile, voir impossible de parler de démocratisation du droit international.
NOTES (1)
Kenneth Anderson, «The Ottawa Convention Banning Landmines, The
Role of International Non-governmental Organizations and the Idea of International
Civil Society» (2000) E.J.Int'l L. 91-120, à la p. 111. (2) L'auteure travaille depuis quatre ans sur l'influence des organisations non gouvernementales sur la création et l'évolution du droit international public. Candidate au doctorat en droit international public à l'université McGill, elle travaille sur la contribution des ONG à la justice internationale. Elle a publié un article «L'échange dette-contre-nature : un instrument utile de protection de l'environnement ?» (1998) A.C.D.I 227-274 ; et un ouvrage intitulé «L'influence des organisations non gouvernementales sur la négociation des instruments internationaux de nature scientifique et technique» (à paraître), Bruxelles/Montréal, Bruylant/Yvon Blais, 250 p. Elle est également co-auteur avec Anne Saris d'un guide trilingue français/anglais/rwandais «Comment accéder au TPIR» destiné aux victimes et aux ONG de victimes désireuses d'intervenir auprès du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, et co-fondatrice du Groupe de travail des doctorants de McGill sur la justice internationale qui est associé à la Coalition pour les droits des femmes en situation de conflit armé. (3) Voir le Cours de droit international public tel qu'enseigné par Mme Paul Bastid, Paris, Les cours de droit, 1962-1963, à la p. 59. Pour un examen critique de la séparation entre la discipline des relations internationales et la discipline du droit international, et les implications de cette dichotomie quant à la place du droit international dans les relations internationales, voir Denys Simon, «Place et fonctions du droit dans les relations internationales» (1991) 3 Le Trimestre du Monde 27-42. Pour une tentative de dialogue entre les chercheurs des deux disciplines, voir : Anne-Marie Slaughter, Andrew Tumello et Stepan Wood, «International law and International relations theory : a new generation of interdisciplinary scholarship» (1998) 92 A.J.I.L. 367-397 ; et Stephen Toope, «Emerging Patterns of Governance and International Law» dans Michael Byers (dir.), The role of law in International Politics, Essays in International Relations and International Law, Oxford University Press, NY, 2000, 91-108. Depuis les années 1990, les théoriciens et les chercheurs des deux disciplines tentent de se comprendre, d'échanger leurs idées et de définir des axes de recherche communs. (4) Ce qui conduit Robert Charvin a écrire: «L'école politiste américaine (pudiquement qualifiée d'anglo-saxonne) des Relations Internationales n'est en fait qu'un avatar atlantique de l'école positiviste européenne». Voir Robert Charvin, Relations internationales, droit et mondialisation, un monde à sens unique, Logiques Juridiques, L'harmattan, à la p.24. Voir également pour une critique de cette vision purement occidentale de l'ordre mondial, Mohammad-Reza Djalili, «Les conceptions non-occidentales de l'ordre mondial» (1991) 3 Le Trimestre du Monde 77-88. (5) Il s'agit surtout de Georges Scelle (1878-1961). Dans une moindre mesure des auteurs tels que Marcel Merle, Georg Schwarzemberger, Charles de Visscher, Henri Rolin et Phillip Sands ont abordé l'étude et l'enseignement du droit international dans une perspective plus sociologique. Philippe Sands travaille depuis de nombreuses années à attirer l'attention sur le phénomène des ONG et sur son impact sur le droit international. (6) Avertissement : le mot théorie est utilisé dans un sens qui est celui du langage commun. Il est utilisé dans un but de facilité linguistique. Pour une discussion et une critique de la notion de théorie des Relations Internationales, lire Philippe Braillard, «Nature et possibilités de la théorie des Relations Internationales : une nécessaire réévaluation» (1991) 3 Le Trimestre du Monde 11-25. Il remet en cause le fait qu'il puisse exister UNE théorie des RI qui repose sur une prétention scientifique, il existerait des cadres explicatifs qui offrent des schémas d'intelligibilité. (7) Cette expression est empruntée à James N. Rosenau, «Les individus en mouvement comme source de turbulence globale» dans Michel Girard (dir.), Les individus dans la politique internationale, Paris, Économica, 1994, 81-105, traduit de l'anglais par M. Girard. Il y explique le phénomène croissant de la participation des individus à la politique internationale. Au titre des explications figure l'amélioration des aptitudes analytiques des individus - une meilleure propension à construire des scénarios élaborés, meilleur discernement des rapports de causalité, une plus grande acceptation et compréhension de la complexité du monde des aptitudes à la formulation des objectifs, à l'examen des différentes hypothèses et à l'émission de jugements. A mon sens, cette affirmation rencontre des objections fondamentales. L'amélioration des capacités analytiques des individus suppose : 1) l'accès à l'information, et surtout à une information suffisamment diversifiée à défaut d'être véridique, 2) l'accès généralisé à l'éducation. Or ces conditions sont loin d'être remplies, à l'exception peut-être du monde occidental, qui rappelons-le ne représente qu'une partie de la population mondiale. Dans ces conditions, les explications de Rosenau ne sont guère généralisables à l'ensemble du monde dans le contexte actuel. (8) Robert Charvin justifie la crise de l'État par le développement d'une campagne anti-étatiste dont les principaux responsables seraient les gouvernements. Cette campagne serait animée par les forces néo-libérales dont l'objectif principal serait la destruction de l'État providence, des services publics, des entreprises nationales pour tout fondre dans un marché. Voir Robert Charvin, supra note 4 à la p. 31. Voir également : l'ouvrage collectif édité sous la direction de Monique Chemillier-Gendreau et de Yann Moulier-Boutang, Le droit dans la mondialisation, Paris, Puf, 2001. Elle y écrit dans son avant-propos à la p. 6 : «L'autorité étatique est corrodée par la logique marchande comme par les logiques religieuses (de manière diversifiée selon les régions du monde), de sorte que les activités internationalisées ne sont plus sous le contrôle d'aucune autorité et que nous retombons ici et là et peut-être bientôt partout dans un «état de nature» présocial qui nous oblige à repenser le droit et le politique avec lui.» (9) «Le système représentatif est considéré comme le lieu d'une démocratie uniquement formelle, entièrement subordonnée au pouvoir exécutif et à l'administration. Par conséquent, c'est beaucoup plus dans les associations volontaires de la société civile que l'on juge possible une participation significative des citoyens à la vie publique de leur pays.» Dominique Leydet, «Mondialisation et démocratie : la notion de société civile globale» dans F. Crépeau (dir.), Mondialisation des échanges et fonctions de l'État, Bruylant, Bruxelles, 1997, 255-279, à la p.208. (10) «Jamais auparavant, peut-être, le sentiment subjectif de compétence politique ressenti par les citoyens n'avait été partout si fortement encouragé». Voir James N. Rosenau, supra note 7 à la p.89. (11) Expression empruntée à Robert Charvin, supra note 4 à la p.31. (12) Expression empruntée à Kenneth Anderson, supra note 1 à la p.91. Cette même expression avait été employée plusieurs années auparavant par Mario Bettati, «Ingérence humanitaire et démocratisation du droit international» (1992) 1 Le Trimestre du monde 23-35. Elle avait cependant été employée dans un sens différent à propos du vote de la résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies relative à la reconnaissance du devoir d'ingérence des ONG dans les situations de catastrophe humanitaire. Mario Bettati voit dans cette reconnaissance internationale, une démocratisation du droit international du fait de la consécration de l'irruption sur la scène internationale d'acteurs non-gouvernementaux dotés de possibilités d'intervention auprès des populations victimes de catastrophe en cas d'inaction de leur État de citoyenneté, et du fait de la brèche qu'ouvre ce texte dans le sacro-saint principe de non- ingérence dans les affaires intérieures. Il y voit aussi la moralisation du droit international. (13) Au sens de «se manifester, apparaître clairement, se distinguer» et non au sens de naître tel que traduit de l'anglais «emerge». (14) Cette influence être très inégale et très conjoncturelle. La capacité d'influer avec succès la formulation de la norme internationale dépend de la réunion d'un grand nombre de conditions dont certaines échappent à l'emprise des ONG tels que l'impossibilité ou la difficulté de prédire les effets d'entraînement d'une action ou d'une déclaration internationale, l'incertitude née du facteur humain (la personnalité et l'histoire individuelle des dirigeants et de leur entourage), les conséquences d'un quiproquo, la survenance d'un événement totalement imprévisible qui transforme de façon fondamentale les données d'un problème. (15) Pour autant je ne suis pas d'accord avec la vision de Rosenau qui envisageait deux mondes politiques: un monde centré sur les États et un monde multicentré qui serait celui des relations entre les acteurs non étatiques. Voir James N. Rosenau, Turbulences in World Politics, 1990, p. 247 : «An autonomouos multi-centric world composed of sovereignty-free actors now coexists, competes and interacts with old state-centric world characterized by States and their interactions.» Au contraire il nous semble que les relations entre les acteurs ne peuvent en aucun cas être séparées les unes des autres: le monde politique est un seul tout où les acteurs étatiques comme non étatiques se rencontrent et interagissent. Contrairement à cette vision bi-systémique, nous croyons en un seul et unique système: international, dans le quel des unités, étatiques ou non agissent, interagissent, réagissent. Voir également la notion de souveraineté polycentrée qui se réfère aux phénomènes de diffusion et de répartition de la souveraineté entre les acteurs de la sphère publique et privée au sein des États, ce qui aboutirait selon l'auteur à une nouvelle conceptualisation de la notion de souveraineté (structurelle) qui ne serait plus calquée sur le modèle Westphalien du territoire mais sur la répartition des forces économiques et sociales. Voir Kanishka Jayasuriya, «Globalization, Law, and the transformation of Sovereignty : the Emergence of Global Regulatory Governance» (1999) 6 Global Legal Studies Journal, 425. Toutefois la thèse de Kanisha Jayasuriya pose deux problèmes. Le premier est que l'auteur base sa démonstration sur des exemples qui relèvent exclusivement de la logique économique libérale sans faire mention des contrepouvoirs nécessaires au fonctionnement de la gouvernance globale, notamment des forces sociales et syndicales. Le second problème réside dans une compréhension réduite du concept de souveraineté et dans sa critique. La conception de la souveraineté est réduite à la notion de territoire et est assimilée à l'indépendance. Or la notion juridique de souveraineté est certes liée au territoire et à son indépendance mais elle comporte également une dimension politique en ce qui a trait au pouvoir et à sa légitimité, ainsi qu'une dimension diplomatique, celle de la reconnaissance par les autres États souverains de la communauté internationale. (16) Selon Michel Girard et Michael Nicholson, l'individu et les groupes d'individus, au sens de personnes ordinaires, n'auraient jamais été absents de la politique internationale qui rappellent qu'au 19ème siècle comme au cours des siècles précédents les acteurs non-étatiques jouaient un certain rôle qu'il ne faudrait pas occulter derrière la primauté étatique. «C'est par l'effet d'une pure illusion d'optique que nous nous persuadons parfois de la disparition quasi totale de tout point de vue individualiste dans l'analyse des relations internationales au cours de ces deux derniers siècles.» «La disparition presque totale des individus de notre intelligence politique mondiale est à la vérité, un phénomène récent qui semble remonter à environ un demi-siècle. C'est assez cependant pour que la redécouverte à laquelle nous assistons actuellement puisse prendre les allures d'une véritable invention.» Michel Girard, «Le retour des individus dans la politique internationale : illusions et invention», dans Michel Girard (dir.), Les individus dans la politique internationale, Paris, Economica, 1994, 7-21, à la p.14. Toutefois ces auteurs reconnaissent sans difficulté que l'accroissement du nombre et de la diversité de ces acteurs, ainsi que l'augmentation de leur influence sont des phénomènes nouveaux propres à la structure de notre actuel système international. Voir Michael Nicholson, «L'Influence de l'individu sur le système international, Considérations sur les structures» dans Michel Girard (dir.), Les individus dans la politique internationale, Paris, Économica, 1994, 107-125, à la p.109, traduit de l'anglais par M. Girard. (17) Mais ne faut-il pas voir dans ce paradoxe que le naturel parcourt du droit, le droit ayant son origine dans le fait social, celui-ci ne peut qu'être en retard sur les évolutions du monde. Kanishka Jayasuriya se plaît à souligner un paradoxe de la globalisation (à propos de la recherche de standards dans le système bancaire et financier international): les États s'engagent dans la coopération régulatrice avec le désir de protéger leur souveraineté, alors que la coopération ne peut être atteinte que par l'internationalisation des agences de régulation qui se réalise en brisant le concept monolithique de la souveraineté interne des États. Voir Kanishka Jayasuriya, supra note 15 aux pp.448-449. (18) Cette citation de Pierre de Senarclens est extraite de la note rédigée par Évelyne Dufault, Gouvernance, avril 2001, disponible sur le site www.er.uqam.ca/nobel/cepes/dictionnaire/gouvernance.html (date d'accès: mai 2001) (19) Cette définition est le résultat de la lecture des définitions de James N. Rosenau, «Governance, order, and Change in world politics» dans James N. Rosenau et Ernst-Otto Czempiel (éd.), Governance without governement : order and change in world politics, Cambridge University Press, Cambridge, 1992, pp.1-29, aux pp. 4 et 5 ; Elisabeth Zoller, Institutionnal aspects of international governance (1996) 3:1 Indiana J. Global Legal Studies; et de Cynthia Hewitt de Alcántara, «Du bon usage du concept de gouvernance» (1998) 15 Revue Internationale des Sciences Sociales. Cette dernière insiste sur le fait que la gouvernance implique un consensus: «qui dit gouvernance dit effort pour dégager un consensus ou obtenir le consentement ou l'assentiment nécessaires à l'exécution d'un programme dans une enceinte où de nombreux intérêts divergents entrent en jeu». Voir également la définition qu'en donne la Commission des Nations Unies sur la gouvernance globale : Our Global neighbohood, disponible sur le site www.cgg.ch/ (date d'accès : janvier 2001). Voir le chapitre I : «Governance is the sum of the many ways individuals and institutions, public and private, manage their common affairs. It is a continuing process through which conflicting or diverse interests may be accommodated a co-operative action may be taken. It includes formal institutions and regimes empowered to enforce compliance, as well as informal arrangements that people and institutions either have agreed to or perceive to be in their interest» et chapitre V : «Global governance is about a varied cast of actors: people acting together in formal and informal ways, in communities and countries, within sectors and across them, in non governmental bodies and citizen's movements, and both nationally and internationally, as a global civil society». Voir également pour des éléments de définition : Lawrence S. Finkelstein, «What is Global Governance ?» (1995) 1 Global Governance 367-372; Évelyne Dufault, supra note 18. Pour une définition qui illustre le point de vue d'un mouvement de citoyens, voir Alliance for a Responsible, Plural and United World, «Proposals for a Global Governance Adapted to the Challenges of the Twenty-first Century» (août 2000), disponible sur le site www.echo.org/en/idx_global.htm(date d'accès: avril 2001): «By governance, we are not only referring to the executive systems in charge of stating and applying international and judicial rules but also to the practical conditions under which these rules are applied and to the role of public and private actors in their development and implementation». Voir également Marie-Claude Smouts, «La coopération internationale de la coexistence à la gouvernance mondiale» dans M-C Smouts, Les nouvelles relations internationales : pratique et théorie, Paris, Presse de Science politique, 1998, pp.135-160 ; M-C. Smouts, «Du bon usage de la gouvernance en relations internationales» (1998) Revue internationale des sciences sociales 85-94. (20) Il n'existe pas de traduction satisfaisante du terme anglais relocation pour exprimer la délocalisation du pouvoir et sa répartition dans de nouveaux lieux d'exercice. Voir Rosenau, supra note 19. Voir égalemement, Paul Ghils, «Les images de la société civile» (1992) Associations Transnationales 20, à la p.21 : «Situation nullement anarchique, mais plutôt polyarchique, pour reprendre l'expression de Seyom Brown : il y a pluralité des centres de pouvoir, d'où la diffusion de la souveraineté étatique vers des acteurs non étatiques et l'obligation qui est faite à ceux-ci de négocier à tous les niveaux l'allégeance des individus et des groupes sociaux.» (21) Voir la définition de Rosenau sur ce point, supra note 19. Rosenau définit le contrôle comme la tentative par des acteurs (les contrôleurs) de modifier l'attitude ou l'orientation d'autres acteurs (les contrôlés). Ma compréhension de la notion de contrôle est alors nettement celle de l'influence, et non de contrôle au sens de puissance. Si la notion de puissance dérivée du même nom anglophone «power» réfère très nettement aux notions du militaire et de l'économique, la notion de pouvoir semble en revanche être beaucoup plus subtile. Non seulement elle engloberait des situations plus larges qu'un état de fait car le pouvoir est un processus dynamique (on l'acquiert, on le conserve et on le perd), mais elle renvoie également à une dimension psychologique : le pouvoir peut certes être celui que confère la puissance, mais il peut également être celui que confère la connaissance, l'expertise, la religion, les médias, la crainte ou toute forme d'emprise psychologique sur des individus. Par conséquent ce serait en ce sens qu'il faudrait comprendre l'affirmation d'Élisabeth Zoller selon laquelle : International governance is a matter of power. Pour ce qui est relatif à l'importance de la communication et de l'information comme instrument d'éducation, de compréhension des problèmes et de enjeux, et comme outil d'élaboration d'un consensus populaire, voir Carl E. Bruch, «Toward an African Voice on Environmental Governance», disponible sur le site http://www.eli.org/elinternationalna/articles/ (date d'accès: 20 avril 2001) . (22) Voir Stephen Toope, supra note 3 et Kanishka Jayasuriya, supra note 15 qui préfèrent parler de réseaux de gouvernance que d'institutions. Voir également James N. Rosenau, «Governance in the Twenty-first Century» (1995) 1 Global Governance 13-41. (23) Cette affirmation est tirée de l'article d'Élizabeth Zoller, supra note 19. James N. Rosenau dans sa définition insiste également sur le caractère normatif. Néanmoins certains auteurs contestent cette finalité qu'ils considèrent comme trop restrictive. Voir Lawrence S. Finkelstein, supra note 19 à la p.370. (24) Pour quelques auteurs des Relations internationales, la tendance est à la focalisation et à l'exagération du rôle de ces acteurs. «Les partisans de cette approche prescriptive ont tendance à mêler dans un grand ensemble flou tous les acteurs de la scène internationale, sans hiérarchiser leur rôle et leur influence politique sur les systèmes de régulation[ ]. Cette perspective procède par ailleurs d'une valorisation naïve des acteurs non-étatiques, en particulier du rôle des entreprises transnationales, des ONG, des organisations internationales.», Pierre de Senarclens, «La mondialisation entre ordre et anarchie» dans Pierre de Senarclens (dir), Mondialisation, souveraineté et théories des Relations internationales, Paris, Armand Colin, 1998, pp182-205, à la p.201. Plus modérément, Michel Girard signale les risques présentés par les théories de la gouvernance dans les Relations internationales, et notamment la tentation de se focaliser sur la place et le rôle des individus ou des petits groupes d'individus au détriment d'une compréhension plus globale et d'une sous-estimation systématique des grands collectifs. Voir Michel Girard, supra note 16 aux pp.18 et 19. (25) Pour une définition plus pointue de la notion d'acteur en relations internationales voir : Evans & Newnham, The dictionnary of World Politics, 1990, p.6 qui les définit ainsi: «any entity which plays an identifiable role in international relations»; voir aussi Oran Young : «any organized entity that is composed, at least indirectly, of human beings, is not wholly subordinate to any other actor in the world system in effective terms, and participates in power relationships with others actors», Oran Young, «The actors in world politics» dans J.N. Rosenau & M.A. East (eds), The Analysis of International Politics, New-york, The Free Press, 1972, p. 125-144, à la p. 140; et surtout la définition développée par Brian Hocking et Michael Smith, World Politics, New-York, Harvester Wheatsheaf, 1990, p. 71, qui avance 3 critères qui sont l'autonomie, la représentation et l'influence. Ce dernier critère nous paraît primordial. (26) Expression empruntée à Mario Bettati lors de son audition devant la Commission des affaires étrangères du Sénat français, dans Alain Dulait, «Rapport d'information 313 (98-99)», Commission des affaires étrangères, disponible sur le site www.sénat.fr/rao/r98-313-mono.html (date d'accès: avril 2000). (27) Bruno Bernardi, «Démocratie et concept fort de la citoyenneté, éléments pour une problématique» disponible sur le site http://sceco.univ-aix.fr/cerpe/democratieecjs.htm (date d'accès: avril 2001): (28) Sur les implications d'une telle déclaration voir Jack Donnelly, «Human Righst, Democracy and Developement», (1999) 21 Hum. Rts Quarterly 608-632, aux pp. 616 et 617. (29) «Democracy is based on the freely expressed will of the people to determine their own political, economic, social and cultural systems and their full participation in all aspects of their lives». Déclaration de Vienne et programme d'action, U.N. GAOR, World Conf on Hum. Rts Doc. Off. A/CONF.157/24 (1993) Partie I, § 8, reproduit dans (1993) 32 ILM 1661. (30) «Démocratie et gouvernance mondiale: quelles régulations pour le 21ème siècle?» Table-ronde organisée par l'Unesco, 29-30 janvier 2001, www.unesco.org/most/wfunescofr.htm (date d'accès: avril 2001). (31) Je suis consciente que cette opposition est loin d'être satisfaisante car bien trop schématique. (32) Voir Dominique Leydet, supra note 9, à la p.273. (33) Pour des raisons méthodologiques je me dégage de l'analyse de Rosenau telle que formulée dans son article «Governance in the twenty-first century», car celle-ci nuit considérablement à la clarté de toute analyse qui voudrait se focaliser sur l'action des ONG sur le droit international. Sa démonstration sur les mécanismes de contrôle émergents s'articule autour d'une distinction entre les ONG et les mouvements sociaux dont l'utilité n'est ni clairement démontrée, ni explicitement définie. La confusion entre organisations privées volontaires et organisations à but lucratif en une seule catégorie d'acteurs, les ONG, me paraît juridiquement erronée. (34) Il existe des liens entre les membres d'ONG, les experts, les membres des gouvernements, et les membres des OI qui sont officieux, et que le caractère même de caché ou de connu d'un petit nombre d'initiés rend extrêmement difficile à étudier, tant du point de vue de l'accessibilité de l'information que du devoir de confidentialité qui lie ces initiés. Par exemple il peut être demandé à des experts et des professeurs d'université par une organisation internationale de participer à la rédaction d'un ouvrage collectif dans le but de promouvoir des idées que l'institution internationale trouve intéressantes et pour pousser à l'émergence de propositions juridiques nouvelles. De même, certains membres de gouvernement ont des liens officieux avec des membres d'ONG et prêtent une oreille attentive aux propositions des ONG sur des sujets en voie d'élaboration et de négociation. La rédaction et la négociation du Traité sur l'interdiction des mines antipersonnel est un exemple visible et avoué de cette pratique. (35) Tel était le cas de la délégation de St Kitts et Novi représentée par la Société St Kitts et Novi Sugar Manufactoring Corporation aux 2ème et 3ème réunion du groupe de travail sur la biosécurité chargé de l'élaboration du texte du Protocole sur la prévention des risques biotechnologique (Protocole de Carthagène). Voir Doc Off. UNEP/CBD/BSWG/2/Inf.9 et UNEP/CBD/BSWG/3/Inf.6. Selon Stairs Kevin et Taylor Peter, l'État du Nauru envoyait, dans les années 1990, un professeur d'université californien en science marine pour le représenter dans les conférences touchant à la protection des océans. Voir Stairs Kevin et Taylor Peter, «Non-governmental organizations and the legal protection of the Oceans, a case of study», dans Hurrel A. et Kingsburry B., The International politics of the environment, Actors, Interests and Institutions, Oxford, Clarendon Press, 1992, 110-141, à la p. 130. (36) Rattaché à l'ONG scientifique International Council of Scientific Union (ICSU), celui-ci est composé de délégués de différents comités et programmes internationaux de recherche scientifique et d'un membre d'une OI : l'organisation météorologique mondiale. Le cas du SCAR est un phénomène à part dans le monde des ONG car il est peut être la seule entité non gouvernementale à avoir été si étroitement et constamment associé au travail du système antarctique qu'il en est devenu l'élément non-officiel indispensable. La commission écologique de l'IUCN (International Union for the conservation of nature) créa en 1985 un groupe de recherche conjoint avec le SCAR. Un programme scientifique sur la biodiversité de l'Unesco appelé DIVERSITAS associe à son travail quatre ONG scientifiques : International Union of Biological Societies, Scientific Committee on Problems of the Environment, International Council of Scientific Union, International Union of Microbiological Societies. (37) Ainsi l'ICSU (International Council of Scientific Union) aurait joué un rôle important dans l'organisation de la Conférence de Rio sur l'environnement et le développement. Voir Julia Marton-Lefèvre, «The role of the scientific community in the Preparation and the Follow-up to UNCED» dans B.I. Spector, G. Sjöstedt et I.W.Zartman, dans Negotiating International Regimes: Lessons learned from the United Nations Conference on Environment and Development (UNCED), Publication de Processes of International Negotiation (PIN) Project, International Institute for Applied Systems Analysis à Laxenbourg (Austria), London, Graham & Trotman/martinus Ninjhoff, 1994, 171-179. Le Yearbook of International Environmental Law signale également que le Environmental Law Committee, de l'IUCN, aurait également assisté le secrétariat de la CBD en produisant un papier visant à faciliter le travail de la première réunion intergouvernementale sur la biosécurité. Le terme de communauté est utilisé dans un sens générique pour désigner l'ensemble des ONG qui interviennent dans le processus et non qui partagent des valeurs, des intérêts et des idées communes. (38) Tel est le cas du tribunal pour les droits de l'enfant qui devrait se constituer prochainement. (39) La définition de tribunaux est une définition à la fois fonctionnelle et structurelle : j'entends par tribunal l'institution judiciaire qui obéit aux règles et aux procédures de la justice : le contradictoire, l'indépendance, le respect des droits de l'accusé, la force obligatoire du jugement, la base juridique du jugement. De ce fait, je n'inclue pas dans cette définition les divers comités et commissions des droits de l'homme qui pour ont pour de rendre public les violations commises par les États. Pour autant ce la ne signifie nullement que les ONG ne jouent un rôle d'importance devant elles, voir par exemple : Yves le Bouthillier et Didier Rouget, «La procédure des rapports périodiques en application des traitées relatifs aux droits de la personne : l'après conférence de Vienne» (1994) A.C.D.I 173-217 ; Rachel Brett, «The role and limits of Human Rights NGOs at the United Nations» (1995) Political Studies 96-110 ; Adam Dieng, «NGO access to United Nations Human Rights Procedures : How can it be Improved without jeopardizing the Rights already acquired by NGOs in Consultative Status with ECOSOC» dans Manfred Nowak (ed), World Conference on Human Rights, Vienna, June 1993, Vienna, Ludwig Botzman Institute of human Rights, 1994, pp.49-63. (40) Voir entre autres l'excellent article de Dinah Shelton, «The participation of non-governmental organisations in international judicial proceedings» (1994) A.J.I.L. 611-642 ; Olivier de Schutter, «Sur l'émergence de la société civile en droit international : le rôle des associations devant la Cour européenne des droits de l'homme» (1996) 7:3 E.J.I.l. Voir également pour l'OMC, Robert Wolfe, «See you in Geneva ? Democracy, the rule of law and WTO», School of Policy Studies, Working Paper 16, Février 2001 ; Petros C. Mavroidis, «Amicus Curiae Briefs Before The WTO: Much Ado About Nothing», Working Paper, Chaire Jean Monnet, Harvard Law School Février 2001, disponible sur le site www.jeanmonnetprogram.org/papers/01/010201.rtf (date d'accès: 11 octobre 2001). (41) Voir Dominique Leydet supra note 9. Voir William Pace and Mark Thieroff, «Participation of Non-governmental Organizations», dans The International Criminal Court, The Making of the Rome Statute, Kluwer Law International, La Haye, 1999, 391-398 : «The fruit of NGO involvement in the process of the establishment of the Court is the Rome Statute which, while not without imperfections, reflects the most fundamental concerns of civil society, and exceeds the expectations on even the most optimistic observers going into the Rome Conference», à la p. 391. [nos soulignés]. William Pace est le directeur de la Coalition pour la Cour pénale internationale. (42) Voir Dominique Leydet, supra note 9 à la p.269. Voir également Kenneth Anderson, supra note 1 à la p. 111. (43) Cette appellation générale est fréquemment retenue par les ONG du Nord. En fait il ne s'agit pas uniquement des ONG du Sud qui viseraient les ONG africaines et les ONG de certains pays du continent sud-américain, mais également des ONG asiatiques et moyen-orientales (États de la péninsule arabique). (44) Le monde des ONG est parfaitement conscient des problèmes de légitimité que pose la sous-représentation d'une partie du globe. (45) Ce qui conduit certains journalistes à écrire à propos des anti-mondialistes présents à Gênes lors de la réunion du G8 en juillet dernier : «En réalité, leurs préoccupations [celles des anti-mondialistes] se limitent à l'Occident, et leurs soucis pour les pauvres ne sont pas toujours sincères.» Voir Barbara Spinelli, «Anti et pro, de faux ennemis» (2-22 août 2001) 561 Courrier international 28 à la p.29. (46) Dans ces conditions on peut effectivement se demander s'il est toujours possible de parler de société civile globale, et de démocratie. Les ONG sont-elles véritablement la voix des peuples du Monde ou plutôt celle d'un monde? (47) Voir Stephen Toope, supra note 3 à la p. 102. (48) Parmi les valeurs véhiculées par les ONG on retrouve : la dignité humaine et les droits de l'homme, la liberté individuelle, la démocratie, la responsabilité pour le futur, mais également la solidarité, le bien-être, la tolérance. Pour une critique de ces valeurs et du caractère prétendument neutre des ONG, voir Makau Mutua, «INGOs as political actors» dans (1999) Proceedings, ASIL, 210, et pour une illustration de l'inadéquation des valeurs occidentales démocrates avec celles de certains états africains voir Mamadou Cissokho, «Séminaire sur les valeurs humaines et la coopération internationale : une réflexion fondamentale et mise en pratique, Orval, Belgique 26-29 juillet 1998, disponible sur le site www.oneworld.org/ecdpm/fr/events/98010/cis.htm (date d'accès : 25 septembre 2001). (49) Voir Cate Steains, «Gender Issues» dans The International Criminal Court, The Making of the Rome Statute, Kluwer Law International, La Haye, 1999, 357-390, pp.366-368. Le Women's Caucus et Provie se sont heurtés au sujet de la notion de grossesse forcée. Le débat sur la grossesse forcée a de l'aveu du Women's Caucus for Gender Justice glissé sans qu'on sache très bien comment vers celui de l'avortement. (50) Là aussi les pays réfractaires étaient les États arabes et le Vatican qui percevaient toute référence au genre comme une référence à l'orientation sexuelle. (51) Le genre se définit ainsi : «Gender refers to the socially constructed differences between men and women and the unequal power relationships that result. Gender indicates that the differences between men and women are not essential or inevitable products of biological sex differences.». Il est également précisé : «Sexual violence is violence which includes a sexual element, such as rape, enforced prostitution, sexual slavery, or sexual mutilation. Gender violence is usually manifested in a form of sexual violence, but can also include non-sexual physical or psychological attacks on women, men or children, as in the examples above.» Women's Caucus for Gender Justice, «Clarification of Term Gender», www.iccwomen.org/reports/gender.htm (date d'accès: septembre 2001). Pour une traduction en français : «Le genre ou sexe social : il renvoie à la construction sociale de la féminité et de la masculinité, qui varie selon les lieux et les époques ; le genre relève de comportements acquis, et non innés.» Voir Agnès Callamard, Méthodologie de recherche sexo-spécifique, Amnesty International et Centre International des droits de la personne et du développement démocratique, 1999, à la p. 8. Parmi les exemples que l'on pourrait citer de violence commise sur la base du genre : le recrutement forcé de jeunes enfants dans une armée et leur exposition à un très fort endoctrinement. (52) Cela a à nouveau donné lieu à des discussions avec les représentants de la délégation française lors de la seconde étape des négociations de la CPI, celles relatives aux règles de procédures et aux éléments de crimes. D'ailleurs le débat ne se limite pas aux sphères diplomatiques et les féministes éprouvent encore le besoin de défendre ce terme dans les cénacles de leurs pairs, voir les débats de l'American Society of International Law, (1999) Proceedings aux pp. 206-207. (53) Art. 7§3 du Statut de Rome de la Cour pénale, Doc Off. UN, A/CONF.183/9, 17 juillet 1998. L'ONG a l'origine de cette proposition réagit de la façon suivante : «Bien que cette définition puisse être considérée par certains comme imparfaite, elle ne change pas dans les faits le sens de genre. Le seul problème avec cette définition est que l'explication dans le contexte de la société n'exprime pas du tout l'idée du pouvoir de déférence entre les hommes et les femmes qui résulte de la construction sociale.» Voir Women's Caucus for Gender Justice, La Cour Pénale Internationale, le Programme de Beijing en action, Le Caucus des Femmes pour une justice basée sur le Genre, 2000, à la p.12. (54) Il faut entendre par ici que les ONG sont des laboratoires. D'autre part la norme à laquelle il est ici fait référence est une norme «embryonnaire» dans le sens où elle est rédigée dans les formes et dans le vocabulaire du droit, mais qu'elle n'est pas passée par le processus de validation qui lui donnera alors sa valeur de règle juridique obligatoire. (55) Tel est le cas du Traité d'Ottawa sur l'interdiction des mines antipersonnel, du Protocole de Madrid sur la protection de l'environnement en Antarctique, du Protocole sur la prévention des risques biotechnologiques et de la Convention sur la diversité biologique. (56) Voir Kenneth Anderson, supra note 1 à la p. 91. C'est précisément un des risques de dérive que dénonce D. Leydet, supra note 9 à la p. 275. (57) «It is not a merely pragmatic praise for non-governmental agencies and their performance; it is a praise of a theory of politics framed within the terms of a discourse of politics, taken more or less directly out of the theoretical literature of social movements' and civil society'.» Voir Kenneth Anderson, Ibid à la p.113. (58) Il définit ainsi la notion de légitimité : By legitimacy' in this context I mean merely that institutions act and be understood to act with authority that is accepted as proper and moral and just right authority'-, to use the language of Augustine and Aquinas. Ibid. (59) Voir Kenneth Anderson, Ibid à la p.118. (60) Pour une littérature qui va dans ce sens lire les promoteurs de l'école de New Haven, M. McDougal et H. Lasswell. Lire également l'article Peter Hass sur la définition de communautés épistémiques, «Introduction : epistemic community and international policy coordination» (1992) 46 :1 Int'l Organization 1-36. Néanmoins, la composition du comité du mouvement citoyen Alliance for a Responsible, Plural and United World, qui travailla à l'élaboration des propositions pour une gouvernance globale adaptées aux défis du 21ème siècle apporte de l'eau au moulin de K. Anderson. De nombreux participants occupent soit de hautes fonctions gouvernementales, soit internationales, soit académiques. Dans ces conditions il nous apparaît difficile d'échapper aux phénomènes des pré-compréhensions, chaque individu ayant la tentation de s'associer et de travailler avec les individus de même pensée, de même croyance afin d'établir une synergie identique et commune. Voir Alliance for a Responsible, Plural and United World , supra note 19. Par ailleurs, je remarque aussi l'arrivée de nouveaux concepts sur la scène internationale tel que celui de public goods qui a été évoqué par le président de la Banque Mondiale dans son discours devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies relatif à la pandémie du SIDA, repris par une économiste du PNUD dans un article du monde diplomatique, et qui a été élaboré dans un livre récent écrit par Isabelle Grunberg et Marc A. Stern, «Global Public Goods in the 21st century» Oxford University Press, NY 1999. (61) Suite à l'accusation de génocide lancée par quelques ONG contre l'État Palestinien, les ONG Human Rightd Watch, Amnesty International et Fédération Internationale des Droits de l'Homme qui avaient été associées de près à l'organisation de la conférence des NU contre le racisme (Durban, Afrique du Sud - août-septembre 2001) ont tenu à se désolidariser en quittant la conférence parallèle des ONG. Cet acte de contestation montre qu'elles sont conscientes de leur poids politique et juridique. L'intérêt grandissant de la presse et du public pour les mouvements populaires qui s'exercent dans la rue lors de la tenue de grands forums internationaux commencent à menacer les intérêts et le travail des ONG dont la réputation est basée sur le professionnalisme et la compétence, elles éprouvent alors le besoin de se démarquer de ces mouvements qui desservent leur cause. (62) C'est ainsi que certaines entreprises multinationales telles que Dupont de Nemours, ou Monsento ont été listées parmi les ONG lors de certaines conférences de négociation sur la biosécurité. Que le monde des affaires soit représenté sur la scène internationale ne pose pas en soi un véritable problème, si ce n'est sur plan conceptuel. Par définition les entreprises multinationales ne sont pas des ONG puisque l'un des critères, l'absence de lucre, n'est pas rempli. (63) Mais une garantie tout de même car comment expliquer autrement la demande des ONG pour une formalisation des pratiques existantes quant à l'accès aux comités et sous comités de l'assemblée générale des Nations Unies, voir INTGLIM, Groupe de travail international des ONG sur les questions légales et institutionnelles, Résolution de l'assemblée générale des ONG (mai 2000) disponible sur le site www.worldfederalist.org/NGO/actin_ngo-fr.html (date d'accès: avril 2001) (64) On pourrait en dire autant du domaine militaire. (65) Depuis trois ans, l'administration onusienne a restreint l'accès à ces bâtiments des Nations-Unies pour raison de sécurité, ce dont se plaignent les ONG. Voir Thomas Liddy, «Report Reveals Tenuous Status of Civil Society at UN», (1999) 34 World Federalist News, disponible sur www.globalpolicy.org (date d'accès : mai 2001) (66) Le nombre et la diversité des ONG sont parfois très importants ce qui laisse songeur quant à la capacité de représenter des intérêts aussi divers. C'est précisément ce que les critiques du mouvement anti-mondialisation reprochent à ce mouvement : le fait de ne pas présenter de front et de doctrine unifiés. A l'inverse se serait cet éparpillement, cet agrégat de protestations émises par de nombreux mouvements peu importants, qui selon Naomi Klein ferait la force même de ce mouvement. Voir Naomi Klein, «Le mouvement est encore confus ? Tant mieux» (2-22 août 2001) 561 Courrier international 31. (67) Michael Nicholson, supra note 16. (68) «Je soutiens que le système international est récemment devenu accessible à de nouveaux entrants et se trouve aujourd'hui beaucoup plus ouvert qu'il n'était au dix-neuvième siècle. Pour cette même raison et du fait de la diversité des nouveaux venus, l'incertitude générale rend l'influence de ces nouveaux acteurs relativement minime. Cette situation engendre parfois une frustration considérable parmi ces nouvelles recrues du système qui pensaient qu'elles seraient en mesure d'exercer un degré appréciable d'influence.» Voir Michael Nicholson, Ibid à la p.116. (69) A ce propos K. Anderson signale dans une note de bas de page que les ONG environnementales ont non seulement été absentes de la coalition ICBL, mais ont été très discrètes dans le débat sur l'interdiction des mines. Voir K. Anderson, supra note 1 à la note de bas de page 45. (70) On pourrait se poser cette question au sujet de l'élaboration d'un projet juridique dans le cadre d'une coalition. Qui élabore le projet de convention? Il y aurait deux hypothèses. La première : le processus d'élaboration de la norme au sein de la coalition est assumé par un groupe de spécialistes ou par une seule organisation, le reste de la coalition jouant un rôle de pression diplomatique, de diffusion de l'information et de mobilisation des consciences. Cette hypothèse augmente le risque technocratique et accrédite partiellement les critiques de Kenneth Anderson. La seconde hypothèse est celle d'une procédure participative, délibérative et transparente. Elle semble difficile à gérer dans les faits vu le nombre et la diversité d'intérêts, et les projets de textes difficiles élaborer vu la nécessité de rechercher un consensus. (71) Certains articles du projet de convention d'ICBL sont identiques, parfois mot pour mot, avec ceux de la Convention d'Ottawa. Il y eut cependant des divergences, notamment en matières de définition des mines, d'exception et de contrôle, autant de points qui heurtaient les intérêts des États dont ceux des Etats-Unis ou, qui imposaient une procédure de contrôle et de surveillance trop attentatoire à la souveraineté des États. (72) L'opinion publique internationale a été manipulée par les ONG qui ont réussit à la convaincre de l'imminence et de la gravité de catastrophes environnementales après la signature de la Convention de Wellington sur l'exploitation des ressources minières. Les scientifiques du SCAR, les analystes politiques et les juristes environnementalistes étaient pourtant d'un avis contraire. (73) C'est ce même soucis de légitimation politique de l'Organisation du Commerce Mondiale que traduisent les demandes des États-Unis et des occidentaux en appuyant la création de liens plus forts entre l'organisation et les ONG, et la possibilité pour les ONG de déposer des mémoires d'amicus curiae devant les panels. |