D'UNE MODIFICATION CONCEPTUELLE : DU SIMPLE AU COMPLEXE Christian Leduc Conférence donnée dans le cadre du quatrième cycle annuel des Débats de la Chaire unesco-uqam sur l'étude des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique. Journée d'étude interdisciplinaire et interuniversitaire, table-ronde sur les valeurs du politique en contexte. Pourquoi l'idée de complexité a t-elle pris et prendra sûrement de plus en plus de place à l'intérieur de la pensée contemporaine? En science, en philosophie, en sciences sociales et dans d'autres disciplines, la complexité a acquis une importance notable surtout depuis un peu plus d'une trentaine d'années. C'est cette question, à l'intérieur de cette table ronde, que nous tenterons de soulever. Elle nous est apparue suffisamment ancrée dans les différentes sphères théoriques actuelles pour y consacrer une série de communications. Nous devrons donc montrer l'originalité de cette thématique et ses enjeux principaux. Dans un premier temps, il sera opportun d'expliquer l'émergence de cette problématique, de montrer l'origine du développement de ce concept de complexité; cette notion ayant toujours été présente, que ce soit en philosophie, en science, etc., il faudra toutefois analyser comment une nouvelle optique a été dernièrement adoptée vis-à-vis de celle-ci. Par la suite, dans les présentations qui suivront, deux doctrines différentes seront partiellement examinées, soit celle de Fernand Dumont et de Niklas Luhmann, en tant qu'approches distinctes de la complexité et de ses implications théoriques et pratiques. Mais tout d'abord, quelques considérations par rapport à l'histoire de ce concept doivent être présentées afin de bien comprendre ses répercussions actuelles. Il est à noter que le complexe n'a jamais vraiment été absent de la pensée philosophique et scientifique. Dès l'époque de l'antiquité, on tente d'expliquer la complexité du réel; le constat d'Héraclite sur le devenir perpétuel des évènements de la nature est peut-être le meilleur exemple de cette tentative de rendre compte d'un monde qui est complexe, voir même chaotique. Évidemment la pensée grecque serait plutôt hostile à cette idée d'un primat du complexe sur l'ordre simple des lois de la nature. On doit cependant remarquer que cette problématique de la complexité n'a jamais été absente des disciplines tentant de décrire le réel, bien que celle-ci ait été plus souvent qu'autrement intégrée ou plutôt absorbée à l'intérieur de schémas et de théories donnant un primat à la simplicité. Même s'il y a quelques bémols à apporter à cette dualité, on peut tout de même dire que depuis l'antiquité, l'unité et la simplicité de la métaphysique de Parménide ont presque toujours pris le dessus sur de devenir et la multiplicité héraclitéenne. En somme, déjà à l'époque de la Grèce antique, le complexe fut généralement appréhendé pour mieux théoriser la réalité par l'entremise du simple. Or, pour une analyse plus rigoureuse du concept contemporain de complexité, il n'est pas nécessaire de remonter à l'époque de l'antiquité; la pensée moderne peut suffire à montrer les transformations de cette notion et la position qu'elle occupa dans différentes sphères de recherche. Plus particulièrement, l'œuvre de Ilya Prigogine permet de comprendre à partir de la pensée scientifique des XVIIe et XVIIIe siècles, l'évolution jusqu'à aujourd'hui de la place de la complexité dans notre saisie du réel. Il faut au préalable débuter par l'explication d'un paradigme qui jusqu'au XXe siècle primera comme cadre de référence fondamental aux théories scientifiques, ainsi qu'à d'autres champs théoriques comme la philosophie et les sciences humaines : ce paradigme est celui de la science newtonienne, point d'achèvement général d'une poussée expérimentale et spéculative développée tout au long des XVIe et XVIIe siècles, par autant de penseurs et chercheurs que sont Copernic, Galilée, Descartes, Kepler, Pascal, Huygens, etc. Pendant longtemps, la physique de Newton fut le modèle du progrès de la science et de la philosophie, le point ultime à partir duquel toute investigation ou observation devait prendre sens et se déployer. Toutefois, le travail engagé ici n'est pas épistémologique et ne relève pas de l'histoire des sciences; ce que je veux soulever, en m'inspirant des travaux de Prigogine, c'est que ce paradigme newtonien est un exemple parmi d'autres de ce primat, dans les analyses théoriques portant sur la nature, du simple sur le complexe. Les avantages que comporte cet exemple sont multiples : d'une part, c'est une doctrine qui fut, et l'est encore partiellement aujourd'hui, précise et valide. À la différence du système copernicien ou de la mécanique galiléenne et cartésienne dont on a retenu que quelques éléments, celui de Newton fonctionne encore très bien pour expliquer de nombreux phénomènes et est à la base d'un grand nombre de découvertes importantes. D'autre part, c'est par la remise en question au XXe siècle de ce paradigme, surtout grâce au développement de la théorie de la relativité et de la mécanique quantique, qu'une nouvelle approche de la réalité, donnant une prépondérance de plus en plus accrue à la complexité, que je pourrai montrer ces transformations épistémiques indiquées précédemment. Ce que j'aimerais examiner, ce sont les fondements ontologiques sur lesquels repose la mécanique newtonienne comme type de vision des phénomènes de monde qui fut adopté autant en science que dans les autres domaines descriptifs ou spéculatifs, objet de remises en question actuellement. Voici un extrait de l'ouvrage majeur de Prigogine, intitulé La nouvelle alliance, résumant bien ce paradigme ou plutôt ce point de vue sur la nature que la plupart des scientifiques partagèrent durant plus de trois siècles : " La science moderne s'est constituée comme produit d'une culture, contre certaines conceptions de cette culture (l'aristotélisme en particulier, mais aussi la magie et l'alchimie). On pourrait même dire qu'elle s'est constituée contre la nature puisqu'elle en niait la complexité et le devenir au nom d'un monde éternel et connaissable régi par un petit nombre de lois simples et immuables (1)." Par ce qu'affirme Prigogine, les scientifiques ont longuement cru à ce modèle descriptif qu'on plaquait littéralement sur la réalité pour mieux nous la rendre intelligible. Mais en quoi consiste justement les bases de cette conception, en réaction aux anciennes images du savoir véhiculées principalement à l'époque médiévale. Premièrement, à l'intérieur de ce modèle, on croît à une portée certaine et globale du savoir scientifique. Comme le souligne Descartes, Dieu a pourvu l'homme d'un entendement fini, donc il ne peut connaître infiniment à la manière du divin, mais ce qu'il est en mesure d'appréhender, il le peut d'une manière certaine (2). Avec l'arrivée du système newtonien, on s'imagine alors que l'étendue de notre savoir peut se développer à l'infini, qu'il suffit de propager les lumières de la raison à un espace de plus en plus grand pour voir progresser notre connaissance totalement. Je cite une fois encore Prigogine : "Galilée et ses successeurs pensent la science comme capable de découvrir la vérité globale de la nature. Non seulement la nature est écrite dans un langage mathématique déchiffrable par l'expérimentation, mais ce langage est unique."(3) Grâce au développement rapide de la mathématique et d'autres outils techniques, on s'imagine pouvoir décrire l'univers entier, qu'il y a isomorphie entre le langage de la science et les phénomènes de la nature. Un autre aspect caractéristique de cette conception, c'est qu'on y fait la promotion d'un savoir homogène et unique. La science newtonienne et les mathématiques comme modèles ne peuvent qu'être enrichis, mais demeurent le seul langage, la seule perspective possible sur le monde. Comme les lois de Newton sont les seules vraies, il serait illogique de poser d'autres points de vue aussi valables, contredisant en partie les fondements de la science. Cette homogénéité des lois de la mécanique sont en fait les fondations de tout notre savoir; en leur ôtant ce privilège, on ébranlerait tout le système. La science est donc une description vraie, unique, homogène et complète de l'univers. L'objectivité du savoir scientifique trouve en outre sa légitimité du fait qu'elle est étrangère à l'idée de hasard et d'instabilité. Sans faire l'histoire du concept de loi, on peut tout de même noter qu'une loi, comme explication des phénomènes de la nature, se doit d'impliquer un déterminisme strict. Une loi, comme celle de la gravitation ou de l'inertie, démontre d'une manière entièrement déterminée, les structures des faits se produisant dans l'univers. Il n'y a pas qu'une partie des phénomènes qui suivent la loi d'inertie; tout événement survenant dans la nature tombe sous cette loi. On ne peut morceler la réalité, mais simplement préciser notre compréhension de celle-ci. L'infiniment grand et l'infiniment petit répondent aux même lois, proviennent du même registre, soit l'univers dans sa totalité. Par les avancées de la science depuis le XVIIe siècle, on croît fermement que "… la nature de laisse déchiffrer, […] qu'elle répond "(4) parfaitement à notre langage. Ce déterminisme montre que le monde nous est de plus en plus transparent. Enfin, cette conception de la science et du savoir en général tend vers une atemporalité profonde. La connaissance scientifique se voulait éternelle, c'est-à-dire que les phénomènes se sont produits et se produiront toujours de la façon dont on les expliquait depuis Newton, grâce à nos outils conceptuels et techniques qui permirent de scruter la nature de manière certaine. Le temps ne devait pas influencer l'ordre des choses, le développement constant et régulier du monde; les rapports de causalité présents dans l'univers étaient tout à fait réversibles et le temps n'était pas considéré en tant que variable ayant une quelconque influence sur ces relations. Cet ordre immuable définit par le langage de la science devenait, dans un certain sens, un point de vue d'ubiquité; son homogénéité, son unité, son caractère déterministe et global, ainsi que son atemporalité formaient alors la base certaine de son objectivité et de sa transparence vis-à-vis de la nature. Évidemment, la mécanique newtonienne par la simplicité et la généralité de ses lois appartient à ce paradigme et tente de respecter ces caractéristiques; elle n'est cependant pas la seule science dans cette situation. Autant la chimie de plus en plus développée au XVIIIe que la biologie naissante du début du XIXe siècle tendait vers ce modèle, prenait comme archétype ces structures de la science moderne. Mais ce qui ressort le plus de cette conception du savoir, ou du moins l'aspect qui m'intéresse ici, c'est le rôle fondamental qu'y joue le simple. Ainsi, les lois de la science moderne ne sont pas seulement complètes et absolues, mais s'explicitent d'une manière simple; c'est, de plus, parce qu'elles sont simples qu'elles peuvent avoir cette place privilégiée comme fondement de notre savoir du monde. Afin que le monde nous soit connu globalement, des principes généraux et simples doivent fonder cette connaissance. Les caractéristiques soulevées ci haut relèvent, entre autres, de cette propriété des lois de la science d'être simples. Grâce au savoir scientifique, la complexité du réel peut nous apparaître dans une certaine unité à partir de ces lois et principes généraux. D'ailleurs, la simplicité n'est pas l'idéal des sciences de la nature seules; la philosophie, ainsi que la psychologie, les sciences sociales, la linguistique et la plupart des sciences humaines s'inspirèrent de ce modèle dans leurs développements et souvent leur formation. Par exemple, Leibniz, dans La Monadologie, pose d'emblée que "le composé n'est autre chose qu'un amas de simples."(5) Pour la plupart des philosophes, encore aujourd'hui, le simple est au fondement du discours; à la limite le complexe est indicible si le simple ne prime pas, du moins d'un point de vue logique et même souvent ontologique. Pour ces penseurs, la légitimité de tout propos portant sur l'homme ou la nature suppose le simple comme source et modèle. La complexité de la réalité n'est explicable que de la simplicité de nos principes, de nos concepts qui démêlent et ordonnent les évènements du monde. Par conséquent, qu'est-ce qui permit ou rendit possible un changement de paradigme, si changement il y a? Pourquoi la complexité prit une place plus importante depuis quelques temps dans nos conceptions, scientifiques ou autres, du monde? Une des raisons, déjà annoncée précédemment, fut les découvertes scientifiques dans le domaine de la théorie de la relativité, de la mécanique quantique, de la biologie moléculaire, etc. Bien que, par exemple, Einstein crût qu'une science à la manière de la mécanique de Newton, en développant bien sûr d'autres concepts, était encore possible, il n'en reste pas moins que c'est grâce à cette théorie et à d'autres avancées portant sur différentes sphères du réel qu'une conception classique de la science a pu être remise en cause. J'indiquerai plus loin les conséquences de ce changement de modèle, mais on doit d'abord noter l'importance, depuis le début du XXe siècle, des nouvelles notions et théories construites en science prenant de plus en plus en considération la complexité comme telle, non en tant que surbordination au simple. Une autre cause peut également avoir jouer en faveur de la complexité. Même si la complexité a sûrement toujours été une propriété de la réalité, que toute les facettes du monde comportent une multiplicité irréductible, on doit comprendre ce qui a fait en sorte que nos théories l'intègrent et ne la rejettent pas sous prétexte que le simple est plus primordial. C'est Prigogine qui soulève cette deuxième cause qui est d'ordre culturelle et sociale plutôt que théorique. Le passage qui suit résume bien cette idée : " […] en peuplant le monde de nouvelles générations de machines et de techniques, les hommes font exister sur un mode nouveau une multitude de processus imbriqués, et ils ont besoin, pour comprendre ce monde dont ils déterminent la création, de tous les instruments conceptuels et techniques que la science peut leur fournir." (6) Ainsi, par sa main mise sur la réalité, les développements technologiques, l'industrialisation, etc., l'homme s'est rendu compte que le monde n'était pas aussi simple et réducteur qu'il ne le croyait. C'est en jouant les "maîtres et possesseurs de la nature", comme l'affirme Descartes, que plus tard les humains ont pris conscience des impacts de leur rôle dans la nature et des relations intimes qu'ils entretiennent avec elle. Prigogine ne dit pas explicitement que sans les technologies, la complexité n'aurait pu être prise en compte dans nos approches théoriques et ce n'est pas mon but de faire le tour de cette question. Il est toutefois intéressant de voir le lien important entre les répercussions pratiques de nos savoirs sur le monde et, en retour, cette influence possible sur nos théories de ces actions posées par l'homme au sein de la nature. Cette double causalité ou relation entre théorie et pratique montre d'ailleurs que notre rapport au monde est difficilement réductible à nos anciens principes et concepts de la pensée classique. Pour finir, j'aimerais seulement exposer les éléments essentiels qui définissent sommairement ce nouveau paradigme qui a et aura probablement plusieurs conséquences dans différents domaines, et particulièrement en sciences sociales et en philosophie. Cette analyse a déjà été effectuée par Edgar Morin qui s'intéresse depuis longtemps à ce phénomène de la complexité; je reprendrai en partie son exposé expliqué, entre autres, dans un ouvrage intitulé L'intelligence de la complexité. 1) L'élément le plus évident de cette nouvelle approche, c'est la prise en compte de la temporalité comme composante fondamentale de notre appréhension du monde; les phénomènes ne sont donc plus considérés comme constance statique et immuable, mais bien comme entités ancrées dans le temps. Par exemple, on postule en mécanique quantique que les particules élémentaires ont une histoire, qu'elles n'ont pas de propriétés qui perdurent éternellement, comme c'est le cas des molécules vivantes. On ne peut pas poser que ces particules peuvent être explicitées de la même manière à n'importe quel moment, comme on le croyait dans le cas des atomes. Le temps doit maintenant être intégré comme variable essentielle dans nos analyses des faits du monde. Il est un processus non-réversible qu'on se doit de comprendre 2) L'insertion de la singularité est également une donne importante de ce paradigme; c'est-à-dire que les lois présentes s'appliquent à un univers singulier, à une situation locale. Les recherches contemporaines tendent à montrer qu'une loi ou principe, par exemple la gravitation, explicite un monde qui est le nôtre, mais qu'il n'y a aucune nécessité du fait que notre univers devait suivre cette loi. On découpe, en outre, de plus en plus le réel pour nous le rendre intelligible : la théorie de la relativité s'applique à l'infiniment grand et la mécanique quantique l'infiniment petit, mais aucun métalangage ou métascience n'est apte à intégrer ces deux théories pour former une grande théorie physique de l'univers. La singularité et le morcellement de la réalité sont donc des composantes primordiales de notre appréhension du réel par l'entremise de la complexité. 3) L'instabilité et le désordre font, de même, maintenant parties de nos théories. On abandonne progressivement cette idée que " l'univers obéit strictement à des lois déterministes, et tout ce qui semble désordre (c'est-à-dire aléatoire, agitatoire, dispersif) n'est qu'une apparence due uniquement à l'insuffisance de notre connaissance."(7) C'est dire que les lois s'appliquent lorsque certaines propriétés sont présentes en un lieu et temps donnés, mais cette rencontre est souvent tout à fait indéterminée. Le fait qu'il y ait de la vie sur terre est un phénomène singulier qui n'aurait très bien pu ne pas se produire et ne s'est peut-être pas produit ailleurs, du moins de la même manière qu'on l'entend généralement. 4) Dernièrement, la notion de perspective joue un rôle primordial. La théorie de la relativité a montré que la position du sujet avait une influence radicale sur sa compréhension des faits. Mais encore plus essentiel, c'est qu'on ne peut plus faire abstraction d'un objet par rapport à son environnement et que les outils conceptuels et techniques qui nous permettent d'analyser des faits ont une influence directe sur ceux-ci. Que l'objectivité n'est possible qu'à partir d'une perspective; qu'il n'y a plus de point de vue absolu possible sur le monde. Sans affirmer qu'il y a une part de subjectivité dans nos approches de la réalité, on peut plutôt retenir que la dualité classique représentationnelle entre l'objet et le sujet doit être plus ou moins rejetée et qu'une nouvelle notion de perspective est à adopter pour définir ce qu'est l'objectivité. Ceci est un exposé sommaire des retombés d'une nouvelle conception de la science et du savoir en général. Les scientifiques ont dû, depuis plusieurs années, envisager différemment leurs principes fondamentaux et leur saisie théorique de la nature. Qu'en est-il cependant des concepts philosophiques ou des notions principales dans des disciplines comme la sociologie, le droit, la linguistique, etc. Je n'ai pas le temps d'y consacrer une analyse profonde, mais quelques pistes peuvent être lancées : je voudrais surtout soulever que rien n'empêche qu'un changement structurel ait lieu en philosophie et dans les sciences de l'homme comme ce fut le cas des sciences de la nature. Par exemple, est-ce que les concepts d'Etat-nation, de citoyenneté, de souveraineté, etc. sont encore capables de décrire la situation sociale et politique actuelle? Est-ce que ces notions, de par leur simplicité, sont désuètes et demanderaient une plus grande prise en compte de la complexité du réel? Un citoyen a souvent une activité politique qui dépasse les limites de sa nation et même celle-ci peut se concentrer entièrement à un niveau supranational. Ce qu'on appelle culture peut-il encore être compris à partir des catégories de la conscience et de la rationalité définies depuis plus de trois siècles? Est-ce que le rapport entre droit et politique, en ce qui a trait à la légitimité, doit encore être expliqué dans une perspective de subordination du domaine juridique à celui du législatif, ou doit-on plutôt comprendre le droit en tant que sphère plus ou moins autonome se donnant lui-même une certaine légitimité? Ces questions ne sont que des exemples qui montrent comment nos théories sociales et philosophiques ne sont peut-être plus aptes à expliquer la complexité de la réalité. Un changement de paradigme, déjà en court, est sûrement nécessaire à une meilleure appréhension de l'homme et des structures sociales, culturelles, économiques et psychologiques qui le déterminent. Pour terminer sur une phrase de Prigogine, il serait probablement temps " […] d'apprendre, non plus à juger la population des savoirs, des pratiques, des cultures produites par les sociétés humaines, mais à les croiser, à établir entre eux des communications inédites qui nous mettent en mesure de faire face aux exigences sans précédent de notre époque." (8)
NOTES (1) Prigogine, Ilya. La nouvelle alliance. Paris : Gallimard, 1979, p.35 (2) " Les objets dont il faut nous occuper sont ceux-là seuls que nos esprits paraissent suffire à connaître d'une manière certaine et indubitable. " Descartes. Règles pour la direction de l'esprit. Règ. II (3) Ibid. p.81 (4) Ibid. p.111 (5) Leibniz. La Monadologie. Par. 2 (6) La nouvelle alliance. p. 52 (7) Morin, Edgar. L'intelligence de la complexité. Paris : L'Harmattan, 1999, p.53 (8) La nouvelle alliance. p. 391
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