Chaire UNESCO d’étude des fondements philosophique de la justice et de la société démocratique | UQAM
15 mars 2013
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La Fondation Stephen Lewis

Tribunal des grand-mères africaines

Un petit compte rendu

Le courage des grand-mères africaines

Le sida est plus ou moins sous contrôle dans nos pays occidentaux. Nous oublions les ravages que ce fléau continue à faire dans le Tiers Monde, en particulier en Afrique. Dans certains pays, il a fauché toute une génération. Les grand-mères se retrouvent les seuls soutiens des orphelins. Elles sont aux prise avec une triple discrimination : elles sont femmes, âgées et souvent infectées elles-mêmes par le rétrovirus VIH. La Fondation Stephen Lewis (http://www.stephenlewisfoundation.org) a invité six d’entre elles à témoigner de leurs expériences devant un « tribunal » composé de Gloria Steinem, l’activiste bien connue, Joy Phumaphi, Secrétaire exécutive de ALMA (Alliance des dirigeants africains contre le paludisme), Mary Ellen Turpel-Lafond, juge à la Cour provinciale de la Saskatchewan et maintenant Représentante de la Colombie britannique pour l’enfance et la jeunesse, ainsi que Theo Sowa, PDG du Fonds de développement des femmes africaines. Ce tribunal avait pour tâche de formuler des recommandations en base des témoignages des grand-mères et de deux expertes dirigeantes d’organisations locales en Ouganda et au Swaziland.

L’évènement, qui s’est tenu le 7 septembre à Vancouver dans le campus de l’Université de Colombie britannique, fut en tous points mémorable. Les grand-mères, simples et dignes dans leurs superbes costumes africains, ont raconté leur vécu. Elles ont vu mourir leur mari, et plusieurs, sinon tous leurs enfants. Elles ont la charge de trois, six, parfois huit petits enfants qu’il faut nourrir et envoyer à l’école. Mais l’école est souvent loin et les uniformes scolaires sont chers. Elles doivent apprendre à ces enfants les dangers du virus et la nécessité de la prévention. Tout cela avec une maigre pension, lorsqu’elles en ont une. Nombreuses sont celles qui ont toute cette charge avant soixante ans, âge auquel elles deviennent éligibles à recevoir cette pitance. Elles sont en butte à d’incommensurables difficultés. Le système de propriété étant souvent fondé sur le clan, la famille du mari défunt leur conteste le lopin de terre qui leur permet de nourrir la famille, voire même leur maison. S’adresser à la police est problématique. Si la femme n’est pas renvoyée avec des moqueries ou pire, elle doit fournir un pot-de-vin.

L’histoire d’une des grand-mères donne la mesure des obstacles rencontrés et du courage avec lequel elles y font face. Magret Ongwen, du Kenya, refusa énergiquement d’être héritée par un autre homme lorsqu’elle perdit son mari et toutes ses « coépouses ». Elle savait que si elle obéissait à la coutume, elle serait immanquablement infectée alors qu’elle avait bravé, au prix de grands dangers, la colère de son mari en refusant de se laisser contaminer. Elle dut faire face aux violentes critiques de la communauté. Les voisins prédisaient qu’elle mourrait et qu’aucun des enfants ne pourrait trouver à se marier. Elle prend soin maintenant des enfants et petits enfants de son mari avec ses différentes épouses. Elle est devenue, grâce à l’aide d’une organisation locale, un modèle pour sa communauté et codirige un groupe de deux cents grand-mères. Toutes les grand-mères invitées et les nombreuses autres qu’elles représentent sont des modèles de courage et d’endurance. Elles sont des expertes de la situation créée par le sida et des leaders dans leur communauté.

La conclusion qui s’est imposée à l’issue de ces témoignages est implacable : si ces femmes sont à ce point démunies, ce n’est pas par accident, c’est parce que ce sont des femmes. Il faut certes changer les lois relatives aux pensions, au système de propriété et surtout au traitement du sida qui doit devenir un droit fondamental. Mais il faut que ces lois soient appliquées par les tribunaux locaux en dépit des coutumes ou de la religion. Pour cela, il faut changer la mentalité. Et cela ne peut se faire que par l’éducation des femmes. L’école doit devenir complètement gratuite. Enfin, ces grand-mères, qui élèvent tant d’enfants et qui, bien souvent, étendent leurs soins à d’autres orphelins et soignent les malades, doivent être rémunérées.

Que pouvons-nous faire, nous ici ? Il faut les aider à s’aider. Depuis le lancement de la campagne « De Grand-mère à Grand-mère » de la Fondation Stephen Lewis, plus de 240 regroupements de grands-mères canadiennes, dont plusieurs au Québec, ont repris l’appel à l’action et à la cueillette de fonds. La Fondation dirige ces fonds vers des organisations communautaires sur le terrain qui soutiennent des grands-mères dans quinze pays africains sub-sahariens, en fournissant de la nourriture, des subventions au logement, des fonds pour la scolarité de leurs petits-enfants, et d’autres subventions selon les besoins.

Ethel Groffier
groffierm@videotron.ca
Chercheur émérite, Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé du Québec


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