Un programme pour la transition
Michel Lincourt PhD
24 novembre 2018
Mise à jour, 29 novembre 2018 : elle concerne l’augmentation du nombre de signatures du Pacte pour la transition et une addition au chapitre de l’agriculture urbaine, qui traite de la consommation de la viande bovine et porcine.
Il y a quelques temps, le metteur en scène Dominic Champagne et 500 personnalités du monde du spectacle du Québec ont publié un Pacte pour la transition [écologique] de notre société. Dans la foulée, plus de 250 000 Québécoises et Québécois ont signé ce pacte. Je fus l’un d’eux.
L’argument du Pacte est simple : nous savons que notre planète se porte mal ; en outre, la science nous explique que le dérèglement du climat, l’épuisement des ressources naturelles et la pollution généralisée sont causés par l’activité humaine ; elle nous dit aussi que le problème s’aggrave de jour en jour. Il est donc impératif et urgent d’agir. Le Pacte propose une stratégie simple : les citoyens s’engagent à réduire leur empreinte carbone : en retour, ils demandent au gouvernement, à l’industrie, au commerce et à la finance de faire leur part. Les propositions qui suivent se veulent une addition à la stratégie du Pacte ; c’est un programme d’action et un mode de financement. Il doit démarrer immédiatement. On pourrait l’appeler Programme pour la transition.
1. Électrification des véhicules routiers
Le Québec se donne vingt ans pour remplacer tous les véhicules routiers propulsés au pétrole par des véhicules électriques, ce qui signifie que cet effort démarre immédiatement. Le programme bonifie le Plan d’action en électrification des transports du Gouvernement du Québec. Les voitures électriques sont encore trop chères ; dans l’attente d’une réduction de leur coût d’achat suite au volume de ventes, on propose d’augmenter les subventions pour ramener le coût des voitures électriques à la hauteur de celui des voitures à pétrole.
Pour encadrer la transition, le Gouvernement conclut des ententes avec les constructeurs et les concessionnaires d’automobiles pour assurer la disponibilité des véhicules électriques, pour garantir le volume de ventes et pour éliminer les délais de livraison. En même temps, une surtaxe est appliquée sur les voitures à pétrole, en particulier celles qui sont énergivores.
Des ententes similaires sont conclues pour les camions, les autobus et autres véhicules utilitaires.
À l’occasion de ces ententes, il serait utile de faire pression sur les constructeurs pour améliorer le design des véhicules, pour les rendre plus robustes, plus sécuritaires, plus durables, mieux adapter au climat, plus faciles à conduire, etc. Le Gouvernement s’assure aussi que la construction des voitures électrique n’est pas polluante. La promesse d’acheter quelque six millions de véhicules en vingt ans donne au Québec un certain pouvoir de négociation.
Le Gouvernement met fin à toutes les subventions et freine tous les projets qui favorisent la consommation des hydrocarbures, tout en appuyant financièrement les entreprises qui éliminent ou transforment les déchets de plastique.
Le Gouvernement conclut une double entente avec Hydro-Québec d’abord pour assurer la disponibilité de l’électricité, éventuellement pour construire de nouveaux équipements de production et de transport d’électricité, ensuite pour accélérer l’implantation des bornes d’alimentation des véhicules, partout sur le territoire québécois, chez les stations-services, dans les propriétés privées, dans les stationnements collectifs, etc. En parallèle, il met en place un programme de conversion des stations-services et des garages, pour passer de la technologie du pétrole vers celle de l’électricité, incluant la formation des mécaniciens. Il est nécessaire aussi de démarrer un programme de recyclage des batteries et autres matériaux des véhicules électriques périmés.
Enfin, il faut lancer un programme de recherche et développement sur l’utilisation économique de l’énergie lumineuse, par exemple pour implanter des capteurs solaires le long des autoroutes pour alimenter les véhicules qui y circulent.
2. Électrification et amélioration du transport en commun
Parallèlement à l’électrification du transport routier, le Québec se donne dix ans pour bonifier l’offre de transport en commun non polluant dans les grandes villes du Québec. À Montréal, on doit augmenter la fréquence des rames du Métro, si nécessaire ajouter d’autres lignes, améliorer le confort et la sécurité des usagers, changer les actuels autobus à pétrole par des autobus électriques, augmenter le nombre d’autobus électriques et d’améliorer la fiabilité du service, compléter le REM par un tramway pour desservir en priorité l’est de Montréal, aussi la Rive-Sud et Laval, et améliorer l’offre des trains de banlieue. À Québec, il faut accélérer l’électrification du transport en commun, et ajouter des lignes de tramway. Il faut ajouter des autobus électriques pour desservir les villes moyennes du Québec. Pour les zones rurales, il faut implanter une flotte de minibus électriques qui offrent un service sur appel, sorte de taxis collectifs.
3. Élimination du suremballage
Le Québec se donne cinq ans pour éliminer le suremballage en plastique dans tous les commerces du Québec, y compris dans les livraisons du commerce électronique. Ce programme touche notamment les épiceries, les fruiteries, les ferronneries et les pharmacies, touche plus les grandes surfaces et les chaînes internationales que les petits commerces de proximité. Prenez une ferronnerie : beaucoup d’objets que l’on y vend sont enrobés d’une gaine de plastique qui ne sert à rien d’autre que de faciliter le merchandising ; dès la vente effectuée, cet emballage non dégradable se retrouve dans le dépotoir. Prenez une fruiterie : bien sûr, une partie des fruits et légumes y sont offert ‘en vrac’, mais une autre partie est préemballée dans des barquettes et sous une pellicule plastique non dégradable ; ce suremballage est inutile et extrêmement polluant. Il faut l’éliminer.
Il faut aussi un programme d’aide aux commerces de proximité qui offrent des produits en vrac. Ce même programme subventionne l’offre de sacs réutilisables en matériaux recyclables (papier, tissus de coton ou de lin, etc.).
4. Réduction des contenants et des objets en plastique
Le Québec se donne dix ans pour remplacer les contenants en plastique non-recyclés et non dégradables par des contenants en verre (et autres matériaux réutilisables et recyclables). Ce programme touche notamment les pharmacies et les épiceries de grande surface. Il s’applique notamment à l’eau en bouteille : il impose une taxe sévère à la prise d’eau, interdit l’embouteillage dans des bouteilles en plastique, n’autorise que les bouteilles recyclables en verre. En plus, le Gouvernement interdit la consommation d’eau en bouteille dans ses locaux, sauf dans certaines situations bien encadrées comme dans les hôpitaux. Les contenants actuels en plastique, par exemple de produits de nettoyage, de shampoing, de liqueurs douces, etc., sont remplacés par des contenants recyclables et consignés ; cela signifie que les commerçants ont l’obligation de récupérer les contenants et les fabricants, celle de les recycler. La SAQ et les épiceries ont l’obligation de récupérer les bouteilles de vin, de cidre ou autres, comme on le fait pour les bouteilles de bière.
Voici un autre exemple des nécessaires changements : il concerne les brosses à dents. Actuellement, les brosses à dents vendues au Québec – et partout dans le monde – sont en plastique et offertes dans un emballage lui aussi en plastique. La brosse et son emballage, tous deux non-dégradables, ne sont pas recyclés, se retrouvent dans les dépotoirs, c’est-à-dire dans la nature, dans des cours d’eau jusqu’à l’océan, et dans l’estomac des poissons et des mammifères marins. Cette pratique doit cesser. Dans au moins une pharmacie à Montréal, on offre des brosses à dents en bambou, importées d’Asie : pour-quoi ne pas subventionner une usine de brosse à dents en bois du Québec, qui seraient vendues dans un emballage antiseptique en papier.
5. Implantation de l’agriculture urbaine
Le Québec se donne cinq ans pour lancer un programme intensif afin d’implanter l’agriculture urbaine dans les villes québécoises. Le but est d’offrir aux urbains des fruits et légumes de grande qualité, frais, à prix abordable, sans empreinte carbone et en toutes saisons. Il faut mettre à contribution les toits des villes. Pour appuyer ce programme, il faut créer à Montréal un Centre d’excellence en agriculture urbaine. Imaginez une serre expérimentale sur le toit d’un vaste bâtiment qui loge des laboratoires, des aires de démonstration, un incubateur industriel, des espaces de rencontres et d’éducation, etc. Autour du centre, on aménage des potagers et jardins expérimentaux. La mission de ce centre est double : en collaboration avec les universités, les institutions et l’industrie qui œuvrent déjà en agriculture urbaine, développer l’expertise de ce domaine, notamment l’architecture et l’ingénierie pour aménager les toits et construire les serres, et mettre en œuvre sur une grande échelle des projets d’agriculture urbaine.
Le programme aide aussi les jardins communautaires.
Le programme d’encouragement de la culture des légumes et des fruits s’accompagne d’un programme de réduction progressive des élevages industriels des bovins et des porcins. L’objectif est de réduire la consommation de viande rouge et la pollution qu’elle entraîne. On met en place un programme d’appui aux bouchers et aux éleveurs pour les accompagner dans la transition écologique.
6. Innovation
Le Programme pour la transition promeut et finance un ensemble d’initiatives pour encourager et diffuser l’innovation scientifique et sociale afin non seulement de rehausser la performance des activités écologiques du programme mais aussi d’assurer la pérennité des changements culturels qui résulteront de la transition. Le programme fera en sorte que le Québec devienne encore plus une pépinière d’experts en transition écologique, une société où l’on exécute avec compétence des projets écologiques de très grande qualité.
7. Gestion
Le Programme pour la transition est géré par un groupe d’experts sous l’égide du Gouvernement du Québec ; la principale caractéristique de ces gestionnaires est d’être des gens d’action, des gens capables d’innover et de prendre des initiatives. Nous sommes nombreux ici à posséder ces qualités. L’actuelle administration du Fonds vert est intégrée à la gestion du programme. Après une analyse critique, il conviendrait de prolonger les activités du Fonds vert qui sont efficaces. La gestion du programme est transparente. Les contrats sont publics. Un site Internet est mis en place pour expliquer les objectifs, présenter les projets et suivre l’évolution du programme. Les citoyennes et les citoyens du Québec sont invités à participer aux activités du programme, à soumettre des projets, à faire connaître leurs commentaires et aussi, pourquoi pas ?, à exprimer leur satisfaction.
8. Financement
Pour démarrer le Programme pour la transition, un investissement de 11,0 milliards $ est mis à contribution. Il inclut le 1,0 milliard $ de l’actuel Fonds Vert et 10,0 milliards $ d’argent neuf. Pour ceux-ci, voici comment on fait : le Québec émet des obligations spéciales à hauteur de 10,0 milliards, dites ‘Obligations pour la transition’, qui sont immédiatement achetées par la Banque du Canada ; il s’agit d’un emprunt à taux d’intérêt zéro, remboursables sur 30 ans. Les sommes sont mises à la disposition du Gouvernement, à sa demande et selon un calendrier prédéterminé. En cas de refus de la Banque du Canada de participer à la transition écologique du Québec, le Gouvernement crée une banque publique, financée au démarrage par le trésor québécois, et dont les actifs et les prêts sont garantis par le potentiel économique des Québécois (évalué à plusieurs trillions de $) ; c’est cette banque qui achète les Obligations pour la transition. Avec le système de réserves fractionnaires actuellement en cours dans toutes les banques privées, une mise de fonds de 1,0 milliard $ permet de générer 10,0 milliards $ de financement.
9. Revenus
Les revenus du Programme pour la transition proviennent de diverses sources, en particulier de secteurs de l’économie qui, à l’heure actuelle, contribuent faiblement à l’effort fiscal. Chaque prélèvement n’a qu’un impact marginal sur le secteur concerné, mais l’ensemble des prélèvements est suffisant pour financer programme. Les revenus pro-viennent principalement de cinq sources, à savoir un prélèvement sur les transactions de produits financiers, dont notamment les titres en bourse (c’est la taxe Tobin), un prélèvement sur les transactions électroniques (à ce propos, voir les travaux du professeur de finance de l’Université de Zurich, Marc Chesney), un prélèvement sur les transactions interbancaires, une taxe sur les transactions reliées à la spéculation sur les devises, une taxe sur les activités commerciales des multinationales qui pratiquent actuellement l’évasion ou l’évitement fiscal.
Comme tous les autres citoyens du monde, les financiers doivent contribuer à sauver la planète.
Il va de soi que des revenus fiscaux additionnels seront générés par les activités du pro-gramme. Il ne faut oublier que l’élimination du pétrole améliorera la balance commerciale du Québec et que la réduction des déchets en plastique entraînera des économies. Il convient d’ajouter que l’investissement relié au Programme pour la transition sera le catalyseur de multiples autres activités économiques vertes.
10. Urgence d’agir
Ce qui est proposé ici, c’est une esquisse, une esquisse à discuter, à améliorer et à compléter. Ou même à chambarder complètement. Ce qui importe, c’est d’amorcer immédiatement la stratégie du Pacte de transition, c’est d’agir.
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ML/24 novembre/7 décembre 2018