Chaire UNESCO d’étude des fondements philosophique de la justice et de la société démocratique | UQAM
15 décembre 2014
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Table ronde : La religion est pour Dieu et la politique est pour les humains

Dieu peut-il mourir en Afrique ?

Ernest Mbonda, Philosophie, UQAM

mbondaer@yahoo.com


Je voudrais situer mon propos dans le contexte actuel de la résurgence du phénomène terroriste en Afrique noire, notamment au Mali, au Niger, au Nigéria, en Somalie, en Ethiopie, en Ouganda et au Kenya, où sévissent des groupes connus sous les noms de Al Qaida, Boko Haram, Shebab, Ansar Eddine, le MUJAO (Mouvement d’unité pour le Djihad en Afrique de l’Ouest). Ce contexte a en effet fait de la question de la laïcité l’une des questions dominantes dans les débats politiques et académiques en Afrique comme ailleurs. En témoigne par exemple le livre publié cette année 2014, par l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et les Éditions Tombouctou, issu d’un colloque qui s’était tenu au Mali en 2010 sur le thème « L’Afrique des laïcités. État, religion et pouvoirs au Sud du Sahara ». Pour ceux qui s’intéressent aux différents parcours de laïcité dans le monde, cet ouvrage est un outil très précieux. L’enjeu de ces débats c’est que la laïcité de l’État en Afrique, érigée en principe politique constitutionnel dans pratiquement tous les pays au Sud du Sahara, est aujourd’hui aux prises avec des projets d’instauration ou de restauration du califat. Peut-on penser que ces projets annoncent la fin de la laïcité en Afrique ? Faut-il y voir le retour de Dieu dans le domaine des affaires humaines – le domaine du politique – qui avait été laissé à la responsabilité humaine ?

J’aborde ces questions non pas de manière directe, mais en faisant un détour par une autre interrogation plus générale, et peut-être moins actuelle, sur le fondement et la signification de la laïcité en Afrique. J’emprunte le titre de ma présentation : « Dieu peut-il mourir en Afrique ? » au théologien camerounais Eloi Messi Metogo qui avait fait de cette question le titre de son ouvrage publié chez Karthala en 1997. J’ai choisi ce titre d’abord parce qu’il fait largement écho à la formule « Écrasons l’infâme » par laquelle Voltaire exprimait son aversion pour l’intolérance religieuse des églises chrétiennes de son époque. Mais surtout parce que l’auteur de cet ouvrage tente de démontrer non seulement que l’âme africaine est loin d’être incurablement religieuse comme l’a prétendu l’ethnologie coloniale, mais aussi qu’il existe, dans l’Afrique traditionnelle et encore plus dans l’Afrique contemporaine, de multiples formes de refus de Dieu et même de meurtre de Dieu.

Ma réflexion consistera donc à discuter des implications de ce refus de Dieu ou de ce meurtre de Dieu dans la relation entre la politique et la religion en Afrique. Je prétends que l’indifférence ou l’incroyance religieuse qui se manifestent en Afrique constituent l’ethos à partir duquel on peut expliquer au moins en partie les formes radicales de laïcité qui se sont instituées sur le continent à un moment de son histoire. Je voudrais aussi montrer en quoi le retour de Dieu, dans certains contextes, a paradoxalement permis de redéfinir la laïcité et de construire des institutions politiques selon le principe « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

1 / La mort ou le meurtre de Dieu en Afrique comme fondement de la laïcité ?

Je disais au début que l’institution de la laïcité est souvent expliquée en Afrique en référence aux modèles d’organisation politique hérités de la colonisation, ce qui revient à dire que l’Afrique a hérité de la colonisation non seulement la forme d’organisation politique que l’on appelle l’Etat, mais aussi un Etat laïc, consacrant d’emblée la séparation de la religion et de l’Etat. Je voudrais indiquer que pareille explication occulte un héritage plus ancien et peut-être plus déterminant dans la construction de l’ethos de la laïcité en Afrique : la tradition de l’indifférence religieuse ou même du rejet de Dieu.

Certes, la plupart d’ethnologues et encore plus les théologiens ont toujours soutenu que les notions d’athéisme, de sécularisation, de laïcité étaient des notions étrangères à l’Afrique, parce que ces notions répugneraient à l’âme africaine dite « incurablement religieuse ». En fait, c’est une opinion qui ne relève que d’un préjugé colonial, qui est largement démentie par l’histoire des sociétés concernées. Eloi Messi montre en effet qu’il existe bien une critique de la religion et des formes d’indifférence ou même d’athéisme dans les sociétés traditionnelles africaines : « L’Afrique traditionnelle, écrit-il, n’ignorait pas la critique de la religion, et on ne voit pas pourquoi cette critique n’aurait pas conduit à l’indifférence religieuse et à l’athéisme » [1].

Cette critique de la religion se manifeste sous plusieurs formes : la première est désignée en termes d’éloignement de Dieu, et peut être démontrée à partir d’un certain nombre de mythes où on distingue le moment où Dieu était proche des hommes et un moment où il s’en est éloigné. Si certains mythes attribuent cet éloignement de Dieu à des fautes humaines (cf. mythe Beti sur l’enterrement précoce d’un mort [2]), d’autres en revanche soulignent le fait que c’est cet éloignement qui « permet à l’homme de se mettre debout », d’inventer la culture, d’apprendre à régler lui-même ses propres affaires, pour le meilleur ou pour le pire (mythe de la pileuse de mil [3]). Certains mythes font valoir une attitude plus hostile à l’égard de Dieu, qui va jusqu’à la décision de le tuer (mythe yansi du Zaïre [4]), parce qu’il est accusé de faire mourir les hommes après les avoir créés.

La formule de Voltaire pourrait s’appliquer ici avec beaucoup de pertinence : « Ecrasez l’infâme », mais modulée pour correspondre de plus près au récit on obtient : Ecrasez le meurtrier des hommes. C’est bien ainsi que ce mythe considère Dieu et déduit de cette représentation de dieu la conduite jugée la plus salutaire pour les hommes : non pas seulement éloigner Dieu de leur existence comme dans le premier mythe, mais le tuer, ou au moins essayer de le faire.

Les pratiques magiques et les rites mystiques sur lesquels s’appuient certains ethnologues pour affirmer la religiosité instinctive des Africains renvoient plutôt, dans bien des cas, à des religions sans Dieu, à des pratiques qui n’ont pas Dieu pour objet. Leur fonction est davantage d’organiser la vie sociale que de rendre à proprement parler un culte à Dieu. Ils se rattachent certes à un ordre mystique peuplé des esprits ou des ancêtres, mais pas nécessairement à un Dieu transcendant qui, comme le montre le mythe de la pileuse du mil, s’est éloigné ou même a été éloigné du monde des hommes. Ils préparent à la limite le terrain de l’athéisme, notamment quand la maîtrise des techniques apporte des solutions qu’on croyait ne pouvoir trouver que dans et par ces rites mystiques.

Dans l’Afrique contemporaine, à partir des enquêtes de terrain qui ont été effectuées dans de nombreuses villes (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Tchad et RDC), à partir de la littérature africaine ainsi que des courants de pensée philosophique qui se sont manifestées en Afrique depuis les années 50 et 60, on peut montrer comme le fait Eloi Messi Metogo une défiance encore plus marquée à l’égard de Dieu, des religions, et en particulier de la religion chrétienne qui est arrivée en même temps que la colonisation.

Il ressort de ces enquêtes qu’un bon nombre de jeunes interrogés considèrent la religion comme une affaire relevant de la foi personnelle et manifestent une certaine indifférence à l’égard du fait du pluralisme religieux ou même de la profession d’athéisme chez certaines personnes. La connaissance par certains de ces jeunes de la critique marxiste de la religion a contribué à nourrir en Afrique des formes de plus en plus affirmées d’athéisme et de défiance à l’égard de toute relation entre l’Etat et la religion. « Dieu apparaît à beaucoup d’intellectuels africains comme le garant de l’ordre établi qu’invoquent les autorités en place pour consolider leur pouvoir, et la religion comme l’opium destiné à endormir les Africains au profit de leurs exploiteurs. » [5]

2 / La mort de Dieu et ses implications politiques

2.1 / Mort de Dieu et meurtre des croyants : l’émergence d’une laïcité d’inspiration marxiste

Dans les années 80, on comptait jusqu’à 22 partis communistes ou marxistes léninistes en Afrique dans 16 pays africains sur une cinquantaine (Afrique du Sud, Algérie, Angola, Bénin, Congo, Egypte, Ghana, Haute Volta, Lesotho, Maroc, Mozambique, Nigeria, Réunion, Sénégal, Soudan, Tunisie) et 6 pays africains étaient dirigés par des partis dits marxistes léninistes (Angola, Bénin, Madagascar, Mozambique, Ethiopie, Congo). L’idéologie défendue par ces différents partis est celle de la libération des Etats africains de l’impérialisme, dernier stade du capitalisme d’après Lénine, et de la religion, considérée comme l’opium du peuple et donc contraire au progrès de l’Afrique. Cet objectif de libération exigeait un Etat laïc, la laïcité devant être comprise ici non pas tant comme la protection de la liberté de conscience par la neutralité de l’Etat, mais comme une certaine lutte contre la religion.

Les partis communistes qui prennent le pouvoir en Afrique dans les années 80 s’illustrent par des mesures plus ou moins drastiques de restrictions de libertés religieuses (comme au Bénin où la fête de Noël a été supprimée et les écoles confessionnelles nationalisées, au Congo où le Parti congolais du travail a interdit la pratique religieuse à ses membres, mis fin à tous les mouvements d’action catholique et nationalisé les écoles confessionnelles, au Mozambique où les biens de l’Eglise ont été confisqués, les symboles religieux détruits, les livres religieux remplacés par les livres marxistes, etc.)

2.2 / La mort de Dieu et la peur de Dieu dans l’espace public

Dans les pays qui ne se réclament pas ouvertement de l’idéologie marxiste, on observe aussi une forme de séparation entre l’Etat et la religion fondée sur une sorte de défiance réciproque. L’islam inquiète les régimes au pouvoir dans la mesure où par le nombre de ses adeptes (plus de la moitié de la population dans certains pays comme le Sénégal, le Mali, le Niger, la Gambie, le Tchad, la Guinée, le Soudan, la Somalie), il représente une véritable force sociale. Mais surtout, certains courants de l’Islam sont porteurs d’un projet politique, notamment le projet d’instauration ou de restauration du califat, lequel projet non seulement mobilise tous les groupes terroristes actifs en Afrique mais aussi est paradoxalement soutenu par une large majorité de musulmans. Un rapport publié par le Pew Research Center aux Etats-Unis en 2012 montre que globalement 70 % de musulmans interrogés dans le monde sont favorables à l’instauration de la charia dans leurs pays et que cette moyenne se situe à 63 % en Afrique subsaharienne (qui se distribue entre 86 % au Niger et 37 % en Tanzanie). C’est à peu près le même pourcentage de personnes qui croient que le califat sera rétabli de leur vivant (de 29 % au Sénégal à 69 % au Mozambique).

Les religions chrétiennes inquiètent aussi si ce n’est par le fondamentalisme qu’affichent un certain nombre de sectes, des églises du réveil et des églises pentecôtistes, mais au moins par les pouvoirs réels qu’elles ont acquis par leurs œuvres telles que les écoles, les dispensaires, et dans la mesure où elles jouent un certain rôle politique par la dénonciation des abus et des ruses du pouvoir [6].

Les pouvoirs dans ces conditions comprennent bien l’intérêt qu’ils ont à se protéger contre les religions. Ils ne réalisent pas ces buts par une simple proclamation du principe constitutionnel de la laïcité, mais en mettant en place des stratégies consistant à exercer un contrôle étroit sur les activités des religions ou à négocier des formes de coopération qui permettent à chaque entité d’exercer sa mission sans trop empiéter sur le terrain de l’autre. Comme le montre Eloi Messi Metogo :

« L’Etat recourt à des stratégies plus subtiles : contrôle des pèlerinages, des écoles coraniques et des nouvelles écoles musulmanes privées ; organisation de l’enseignement islamique de manière à l’intégrer à l’enseignement officiel ; construction de mosquées ; tentative de bureaucratisation de la religion par la création d’associations musulmanes officielles. Les gouvernements se posent en protecteurs et même en promoteurs de l’Islam dans leurs pays pour canaliser les relations musulmanes internationales au profit de l’Etat. Les membres des associations musulmanes officielles sont chargés des missions diplomatiques dans les pays musulmans et attirent les pétrodollars arabes. » [7]

2.3 / Laïcisation de l’Etat et retour à Dieu
Pourtant l’Etat ne se prive pas de recourir aux religions pour résoudre certains problèmes politiques de grande importance sans en même temps laisser planer la moindre ambiguïté sur le caractère ponctuel et circonscrit de ce recours. C’est ainsi qu’au début des années 90, les autorités religieuses joueront un rôle de premier plan dans la refondation des Etats confrontés à des crises politiques importantes, en présidant notamment les « Conférences nationales », formes de palabres africaines instituées en vue de mettre en place les bases des sociétés démocratiques. Au Nigeria qui n’avait pas organisé de conférence nationale, les deux grandes associations religieuses – Christian association of Nigeria et Council for Islamic Affairs – ont exercé une grande influence dans le processus de transition d’un régime militaire à un régime civil impulsé par le président Olesegun Obasanjo, dans le but déclaré de donner des fondations morales (et non religieuses) solides aux nouvelles institutions politiques [8].
La présence religieuse dans ces instances politiques n’indiquait pas un projet de confessionnalisation de l’Etat, opération impossible dans des sociétés multiconfessionnelles, et en particulier à un moment où il s’agissait, précisément, de passer des régimes autoritaires incarnés par les partis uniques et les partis dits marxistes à des régimes démocratiques, donc respectueux des libertés y compris religieuses.

3 / Les ambiguïtés de la mort de Dieu

Comme le montrent Charles Taylor et Jocelyn Maclure dans leur ouvrage intitulé Laïcité et liberté de conscience [9], la laïcité est une notion complexe, parce qu’elle renvoie à un ensemble de principes, de finalités et d’arrangements institutionnels dont la cohérence n’est pas toujours évidente. A partir des principes normatifs tels que la liberté de conscience et l’égalité morale des individus qui sont au fondement de la laïcité, on voit apparaître une variété d’arrangements institutionnels censés incarner cette laïcité. Les deux auteurs proposent de ramener toutes les formes de laïcité à deux modèles ou idéaux types : une laïcité républicaine et une laïcité libérale pluraliste [10]. Dans le cadre du premier modèle, l’Etat travaille à la relégation de la religion dans la sphère privée pour ne laisser émerger qu’une identité civique commune, garante de l’égalité morale entre tous les individus. Cela implique par exemple, comme en France, le refus du port de certains signes religieux ostentatoires dans des espaces comme l’école publique. Le modèle libéral-pluraliste en revanche essaie de trouver un équilibre entre la liberté de conscience et le respect de l’égalité entre les sujets, en laissant que s’exprime les différences religieuses sur l’espace public tant qu’elles ne compromettent pas les mêmes droits chez les autres et ne portent pas atteinte à l’ordre public.
Le thème de la mort de Dieu ouvre lui-même sur plusieurs régimes possibles de laïcité. Le premier est celui de la neutralité de principe de l’Etat par rapport à toute forme de religion. Mais cette neutralité n’est jamais absolue, comme le montre le cas de la France. Le régime dit républicain, en France n’empêche pas le financement public des écoles privées religieuses (85 % contre 60 % au Québec), la prise en charge de l’entretien et de la conservation des églises et synagogues construites avant la loi de la séparation de 1905 et le maintien des fêtes catholiques [11]. Ce lien avec la religion reste acceptable tant qu’il ne transforme pas l’Etat en une institution confessionnelle. Ainsi peut-on interpréter les formes de collaboration qui existent de fait entre nombre de pays africains et les confessions religieuses influentes sur leur territoire, même si, dans certains cas, cette collaboration est dictée par des stratégies politiques visant à neutraliser des institutions dont le poids politique est important dans la société. On pourrait ici parler d’une neutralité négociée ou encore d’une laïcité stratégique.
Le second régime possible est celui du rejet plus catégorique de la religion, et correspond à ce que j’ai appelé laïcité d’inspiration marxiste. Les Etats dit marxistes se voulaient laïcs, mais en opérant une confusion entre laïcité, sécularisation et oppression. Jocelyn Maclure et Charles Taylor, invitent à faire une distinction entre la laïcisation et la sécularisation. La laïcisation est « le processus à la faveur duquel l’Etat affirme son indépendance par rapport à la religion, alors que l’une des composantes de la sécularisation est l’érosion de l’influence de la religion dans les pratiques sociales et dans la conduite de la vie individuelle. » [12] Dans le cas des régimes dits marxistes, la sécularisation ne se réduit pas à une propagande antireligieuse, elle s’exerce de manière tyrannique quand elle réduit la religion au silence par la violence. L’oppression du politique contre la religion consacre certes la séparation entre la religion et la politique, mais elle n’intègre pas l’autre composante essentielle de la laïcité qui consiste à respecter les libertés religieuses et le droit pour chaque citoyen d’exercer la religion de son choix. Si le meurtre de Dieu a été perçu comme levier de la libération, les idéologies marxistes opéraient non plus le meurtre de Dieu, mais le meurtre des croyants. Cela revient, en réalité, à « faire de la laïcité l’équivalent séculier de la religion ». Cette laïcité est fondée sur une doctrine particulière, englobante, qui ne se limite pas à la recherche d’un principe d’organisation politique équitable, mais qui définit ce qui convient à l’homme d’une manière générale. L’Etat se présente dans ces conditions comme une autorité morale et spirituelle, ayant pour mission d’éduquer ses citoyens dans le cadre d’une sorte de « théologie rationnelle », pour les sortir de la minorité.
On peut voir dans cette forme de laïcité une perversion de la laïcité. Les enquêtes indiquées plus haut, qui révélaient une certaine indifférence religieuse chez les jeunes, montraient aussi qu’en général, la religion était considérée comme une affaire privée, et n’ayant pour certains aucune importance dans leur vie quotidienne. Les jeunes montraient une certaine indifférence non seulement par rapport au fait religieux d’une manière générale, mais aussi par rapport au fait du pluralisme religieux et ne pensaient pas qu’il soit nécessaire de combattre la religion ni par la propagande, ni par l’oppression. On comprend pourquoi d’ailleurs les Etats qui ont connu les crises politiques les plus explosives au début des années 1990 étaient des régimes marxistes, notamment au Bénin, au Congo et au Mali. C’est dans ces Etats que les conférences nationales furent organisées, ironie de l’histoire, sous la présidence d’autorités religieuses jusque là combattues et qu’un nouveau contrat social fut trouvé, avec un nouveau régime de laïcité plus respectueux des libertés religieuses.

Conclusion

En posant la question « Dieu peut-il mourir en Afrique ? », j’ai voulu, en premier lieu, montrer que la question de la laïcité est une question pertinente en Afrique, parce que l’âme africaine n’est pas incurablement religieuse. J’ai voulu aussi signifier que la « mort de Dieu » en Afrique, expression par laquelle je désigne aussi bien l’indifférence religieuse, le relativisme religieux et la négation de Dieu permettait de comprendre au moins en partie l’adhésion au principe de la laïcité et la mise en place d’un certain régime de laïcité. J’ai voulu enfin souligner que si « la mort de Dieu » fonde la laïcité, elle ne justifie pas le meurtre du croyant et n’exclut pas l’obligation pour l’Etat de respecter ceux qui se réclament de Dieu, de respecter les symboles de cette adhésion et de coopérer avec les religions sans nécessairement se transformer en institution religieuse. Cette forme ouverte de laïcité est finalement ce qui donne à la « mort de Dieu » un sens. Dieu accepte de se retirer des affaires humaines pour laisser que les humains assument leur responsabilité, comme le montrent les mythes analysés plus haut, et comme le confirme la religion chrétienne : « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Il refuse d’imposer sa présence au milieu des hommes qui cependant peuvent décider de recourir à lui (comme pour les conférences nationales en Afrique) sans nécessairement chercher à lui offrir le trône du pouvoir humain trop humain.


[1Eloi Messi Metogo, Dieu peut-il mourir en Afrique ?, Paris Karthala, 1997, p. 9.

[2Le mythe raconte que Zamba (Dieu), qui vivait d’abord au milieu des hommes, partit un jour pour un long voyage en interdisant aux hommes toute prise de décision en son absence. Pendant que Dieu est absent, une personne meurt et après plusieurs jours, alors que le corps de cette personne est dans un état de putréfaction insupportable, les hommes décident d’enterrer le cadavre. La colère de Dieu se manifeste alors par la décision de s’en aller pour toujours en demandant aux hommes de continuer à enterrer leurs morts (voir Eloi Messi, Op. Cit., pp. 36-37).

[3Ce mythe distingue deux moments. Un moment où le ciel et la terre sont si proches que les hommes ne peuvent se déplacer qu’en étant courbés. Mais en même temps, il leur suffit, pour leur subsistance, d’arracher quelques lambeaux de la voûte céleste. Le second moment surgit quand une jeune fille préfère ramasser des grains de la terre plutôt que de se nourrir des lambeaux du ciel. Pour piler ces grains, elle ne peut pas soulever suffisamment son pilon sans en même temps heurter le ciel et Dieu. Elle demande alors à Dieu, avec insistance, de s’éloigner. Dieu, outré par cette audace, s’éloigne définitivement, en abandonnant les hommes à leur sort. Ils n’ont plus de lambeaux de ciel à manger, mais ils peuvent se tenir et marcher debout (Eloi Messi Metogo, Op. cit., p. 38).

[4« Dans les villages, la mort décimait les hommes. Après chaque décès, on entendait des cris perçants : ‘Eh le-le-le-le, Ngul Mpwo a tué mon enfant ! Ngul Mpwo a tué mon frère… mon père… Un jour, les ancêtres de Makwa décidèrent de saisir Ngul Mpwo qui tuait les hommes. Ils voulaient le tuer à son tour. Ayant convoqué les hommes de Dum, kemban, Nga-Nga et de Mankiok, ils se rassemblèrent à la lisière d’une forêt, portant chacun des armes. Ils tenaient coûte que coûte à écraser la tête de Ngul Mpwo, destructeur de leur village. Ils attendirent longtemps, mais Ngul Mpwo ne venait pas. Certains combattants commençaient à tomber malades, d’autres mouraient subitement. Comme Ngul Mpwo ne venait toujours pas et qu’ils ne voyaient que des morts, les ancêtres se découragèrent et rentrèrent en colère dans leurs villages. » (Eloi Messi Metogo, Op. cit., p. 39).

[5Eloi Messi Metogo, Op. cit., p. 14.

[6Voir Jean-Claude Djereke, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, Paris, Karthala, 2001.

[7Op. cit., p. 161.

[8(voir Anthony Asiwaju, Civil Society and Moral Authorities Within States in Democratic transition, http://democratie.francophonie.org/IMG/pdf/1595.pdf)

[9Montréal, Boréal, 2010.

[10Jocelyn Maclure et Charles Taylor, Op. cit., p. 46.

[11Ibid., p. 40.

[12Ibid., p. 24.

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