Chaire UNESCO d’étude des fondements philosophique de la justice et de la société démocratique | UQAM
4 octobre 2010

Rationalité pénale et démocratie

Israel Mekoul

Question première : Pourquoi faut-il rationaliser les peines et que vient chercher la raison dans un univers qui lui parait étrange, parce que normé et dicté par des règles ?
Il faut rationaliser donc pour deux raisons : sauver la démocratie et sauver-protéger l’individu.

I. Relativement à la démocratie, nous pouvons distinguer deux versants : la philosophie et la politique.

I.1. sur le plan philosophique
La vocation de la philosophie depuis des millénaires, a toujours été de placer l’individu au cœur de tout système. Et de ce fait, rationaliser les peines, signifie cerner, comprendre la place qu’occupe l’individu dans ce vaste système de règles et de batteries qui, au demeurant sont faits pour son épanouissement.
Le regard que porte la philosophie au sujet de la démocratie, c’est de se demander si ce concept qui place l’homme au cœur de tout n’a pas pour finalité son escamotage et sa « déréliction ».

I.2. sur le plan politique
La politique est aussi au cœur de l’avènement de la démocratie. Car au sortir de la fiction de l’état de nature, il s’agit de construire un édifice social dans lequel, la politique trouvera son ferment et pourra au mieux fixer ses bases et poursuivre la réalisation de l’individu.

Mais la politique ne voit pas les choses comme la philosophie : pour elle, pour que la démocratie existe et s’exporte, il faut qu’elle s’accompagne des mesures fortes. Elle est sans cesse confrontée aux aléas des humains et des circonstances ; elle doit toujours répondre aux besoins et aux sollicitations, elle doit fixer le permis et le défendu ; dès lors, elle doit agir et pour le faire, elle doit fixer les limites.

C’est dire que le discours sécuritaire trouve son implémentation depuis les insécurités nées des Guerres mondiales, de la Guerre froide, des attentats du 11 septembre et j’en passe.
Le monde libéral, s’il a paradoxalement fait la promotion de la démocratie, semble constituer la source de son épuisement. La démocratie ressemblerait-elle à l’énergie solaire qui s’effrite au fil des temps ?

Protéger la société, protéger l’individu est une obsession libérale ; trier dans cette société ce qui est bien, bon et ce qui est résidu, est une conséquente de la première.

Les théories du « fanatisme intellectuel » comme Fichte ou Nietzsche et déjà le Gorgias dans le Gorgias de Platon vantent la sélection naturelle ; mais au lieu de s’arrêter là où Freud s’est arrêté, ils poursuivent (ces auteurs cités ci-dessus) en proclamant le règne des fins et exhibent la « volonté de puissance ».

Cette exaltation du plus fort, même si elle viole l’esprit de la démocratie n’est pas non moins au cœur de l’appareillage libéral.

Les « infirmes », les « bâtards » (Nietzsche) n’ont pas droit au chapitre de la dignité ; Sarkozy n’a-t-il pas parlé de « racailles » !

La loi pour Gorgias est faite pour l’émancipation des faibles qui ont besoin des « béquilles » pour exister.

Alors, pour les libéraux, pour calmer les ardeurs « folles » des « pauvres », pour guider « les moutons », il faut ces « marottes » (Oloum Ciriac), entendons, les valeurs morales, l’Etat ou l’Ethique.

Cette batterie de valeurs morales, de lois ne vise qu’à protéger les faibles et vraisemblablement la société des « bourgeois »

Dès lors, intervient cette fameuse dérive sécuritaire qui fait le lit des libéraux et constitue leur carte politique.

Pour quel intérêt : recueillir des suffrages en brandissant la peur ou alors, masquer son manque d’originalité programmatique en politique.

Bush au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, n’avait plus à chercher quoi proposer au « pauvre » peuple américain, assommé et inquiet : il fallait combattre Al-Quaida et sécuriser le peuple américain. Ce dernier l’a plébiscité.

Au Canada, Stephen Harper, en rejoignant la coalition de l’OTAN contre la Lybie n’a pas voilé ses intentions sécuritaires : car, la brisure des frontières et la pénétration des islamismes lui a fait brandir le danger Kadhafi. Sur le plan international, mais sait-on jamais sur le plan interne !

Les conflits ne ressemblent-ils pas de nos jours au magma qui gît au fond d’un volcan attendant une fissure pour exploser et « tout foutre en l’air » !

Pour sécuriser l’intérieur, ne faut-il pas d’abord sécuriser l’extérieur ?

Et sur le plan intérieur, ne voit-on pas des bagarres parlementaires au sujet des voiles, des signes distinctifs, de la laïcité, de l’immigration, j’en passe ; autant d’éléments qui s’apparentent à des « perles » accrochées sur le sceau/corps des discours et des cartes des pouvoirs politiques.

La démocratie semble donc être sauvée en la « piétinant » (c’est là l’idée malheureuse de Karl Marx qui y voyait une mascarade des bourgeois au détriment des faibles).
Mais pour les gouvernants, il va de soi que tout ce qui est fait est fait pour le peuple et son bien-être.

Le système carcéral un peu partout dans les démocraties avancées bien qu’il bénéficie de certains ajustements humains (traitement des prisonniers) ne désemplit plus et la prison es t devenue un véritable refuge de ses « marginaux », sans repères dont on éprouve des difficultés à rééduquer parce que parfois des récidivistes ou alors parce que leurs crimes ne peuvent conduire qu’à l’injection létale.

Victor Hugo, l’a si bien montré : on prétend penser les plaies de la société en la faisant éclater devant des exécutions et en élargissant l’assiette des sanctions ; mais hélas, cela s’apparente à de la « fantaisie » carcérale ou judiciaire.

L’avènement du Nouveau Monde signifie-t-il la « bâtardisation » de la condition humaine ?

Le règne des fins est-ce la fin de la faim ?

La société démocratique des libéraux est devenue un marché de la peur où les pouvoirs en place choisissent de brandir l’insécurité pour s’appâter des voix électorales.

Ce qui fait que, c’est la prison qui fait office de réforme morale et mentale ;

Ainsi, il faut jeter en prison et oublier les « parasites » ;

Or, multiplier les centres de détention comme on le voit aux USA, désengorger les prisons, améliorer le sort des prisonniers, tuer certains, ne résout pas les problèmes sociaux et ne « purifie » pas la démocratie.

La démocratie d’ailleurs semble être en perte de valeur parce que marchandée.

L’extravagance carcérale, le chiffre carcéral, au service des libéraux semble ne pas aider l’implémentation de la démocratie ; de ce fait, il faut revoir la méthodologie.

C’est en cela que de telles conférences internationales sont salutaires. Certes, je regrette l’absence de l’Afrique, mais cela mérite de faire le point.

Au demeurant, le sentiment de crainte a gagné le monde depuis les Guerres mondiales et surtout depuis le 11 septembre 2001. Les conservateurs, les libéraux, les républicains ont fait de la sécurité, leur lit politique. Mais on se demanderait si le rêve lincolnien est encore de mise : est-ce pour l’individu lamnda qu’on édicte ? Qu’on sanctionne ? Qu’on injecte ? Qu’on va bombarder ? Qu’on commandite ? La démocratie serait-elle devenue la servante des pourvoiristes en mal de programmes concrets comme le souligne Alexis de Tocqueville brisant le vœu de Spinoza d’un pouvoir politique fait pour assurer le bien –être des populations ?

Et finalement quel peuple est pris en considération : la petite oligarchie ou alors la masse dont Horace n’éprouvait que du mépris et du dédain ?

II. Relativement à l’individu

L’avertissement de Rousseau quant à l’efficacité ou l’échec de la démocratie aux mains des hommes ne s’observe-t-il pas ?

L’individu qui est visé, est-ce l’individu bourgeois au sens hégélien ? Ou alors au sens socialiste ou démocratique ?

On verra que pour Voltaire, ce n’est pas l’individu lamda qui est visé, c’est l’individu bourgeois. Voltaire dans son long poème sur le Désastre de Lisbonne, plaide pour la tolérance des races, des cultures-mais on voit bien que sa tolérance est teintée de l’ « esprit de cour » (Dominique de Villepin). S’il estime que la démocratie se nourrit de tolérance, il ne va pas jusqu’à défendre le peuple ; il lui est étranger, le grand peuple pour lequel des penseurs comme Rousseau ou Hugo ont protégé par leurs écrits. D’ailleurs, sans entrer dans les conflits des chapelles Rousseau et Voltaire, le Dix-huitième siècle de la collection Lagarde et Michard, ne montre-t-elle pas avec suffisance, au regard des échanges de correspondance entre les deux, ce qui animait chacun d’eux ?

Voltaire reste un « gentleman », un penseur élégant, qui a toujours pris le parti des idées positives, pour l’élégance des idées et non pas pour un sentiment humain et naturel, porté vers la cause humaine. S’il défend le progrès des Idées et vante la civilisation, ce n’est pas pour les analyser ou les confronter aux choses ou à ses compatriotes ; c’est pour leur beauté et ce qu’elle apporte ; mais on pourrait toujours y induire un certain humanisme ; mais pas un humanisme naturel, à fleur de peau comme l’a fait sentir Rousseau, mais un humanisme bourgeois.

Montesquieu dont la philosophie et surtout le droit lui sont énormément redevables ne parle qu’en termes de droit : c’est le droit qui doit parler.

L’humaniser ou le déshumaniser n’a pas de sens pour lui. Il s’agit de rechercher un équilibre entre les forces car si la démocratie est faite pour assurer le bien-être des citoyens, il ne s’agit pas non plus de « fricasser » la loi édictée au point de la rendre inutile pour servir certains intérêts. C’est une adresse qui a une portée double :

Tout d’abord, les politiques ne doivent pas s’en servir pour leurs fins de pouvoir ;

Ensuite, le peuple ne doit pas prétendre avoir une part importante au point de croire que sa responsabilité serait exonérée s’il venait à violer les règles édictées.

Montesquieu est d’abord un magistrat ; et comme tel, il n’y a pas de tolérance pour celui qui viole la loi. Il y a certes des circonstances atténuantes, mais la loi, c’est la loi et en ce sens, le droit doit d’abord être dit avant qu’il ne soit tempéré, au regard des circonstances ou des pièces du dossier.

C’est cette tempérance que les Sciences humaines, et en l’occurrence, la philosophie recherche : que deviendrait une société où la loi du Talion prime ?

Que deviendrait une société où règne l’intolérance ?

La loi pour la loi, est-ce la loi pour la démocratie ?

La loi qui est censée protéger l’individu doit-elle encore devenir son tombeau ?

Le droit dans l’esprit de Montesquieu est le droit du droit.

Ainsi, l’ambition de « moderniser » les politiques carcérales nous apparait comme un ouvrage dont la finalité dépend de sa position : sur le versant philosophique, c’est l’Homme qu’il faut protéger ; mais pour les pouvoirs politiques, c’est son pouvoir.


Question seconde : comment rationaliser, c’est le problème des Techniques judiciaires.
La question du comment est au cœur du débat et des enjeux de rationalisation des peines car, il s’agit de comprendre les techniques judiciaires.

On a sus-évoqué la question des centres pénitenciers, du traitement des prisonniers, mais au-delà, il y a les problèmes de fond : les techniques judiciaires.

L’absence d’une certaine harmonisation des délits et des crimes par exemple en matière d’affaire pose un réel problème de nos jours ; car, les sanctions qui sont prévues ne parviennent pas à donner une certaine lisibilité.

Si c’est le juge camerounais qui doit être compétent pour connaitre d’une infraction à caractère international, cela déboucherait sur des a priori juridictionnels et des remises en question des méthodes judiciaires adoptées et appliquées.

Les procédures judiciaires et leur lenteur ne concernent pas seulement les démocraties avancées : c’est le pouvoir en place qui gère au fond ce genre de querellé, désarmant ainsi l’autorité judiciaire et rendant incompréhensible le vœu de Montesquieu de la séparation des pouvoirs.

Mais comme on l’a dit, si la sécurité (fonction régalienne de l’Etat) est devenue une arme de conquête politique, ce n’est plus le pouvoir législatif, représentant du peuple qui fixe les limites ; c’est le pouvoir en place qui tient dans l’ombre les ficelles ; de ce fait, les prisonniers politiques, les individus « dangereux » pour un régime ne risquent pas de voir leur peine ou leur infraction suivre la voie normale des procédures. On s’en plaint, on évoque les réformes judiciaires mais rien n’est fait. On assiste à un griotisme de la réflexion qui frise le tabou.

Donc, que ce soit dans les tribunaux pénaux internationaux ou nationaux, les prisonniers ou alors, les inculpés, les prévenus et les accusés sont à la même enseigne : ils souffrent des techniques judiciaires qui restent et demeurent encore l’affaire des pouvoirs politiques.

D’où le souhait des réflexions comme celles-ci et la mise en jeu de la philosophie afin de s’interroger sur la portée des pratiques judiciaires et de se demander si depuis le Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo jusqu’à nos jours, la loi pour la loi, la sanction pour la sanction a fait avancer les choses.

Il faut donc interroger les pratiques correctionnelles et toute la batterie judiciaire qui est faite autour de la question pénale.

Avec pour envie de donner à la démocratie plus de lisibilité et d’envie d’exportation et même d’imposition, au regard de l’actualité internationale.

C’est là, le problème de l’application de la loi pénale dans le temps : elle doit s’adapter et s’humaniser. Il n’y a pas de vantardise à brandir lorsqu’on prétend mettre en place des techniques judicaires pour assurer le bien-être des populations ?

On a beau aux USA annoncer qu’à X heure, on injectera, qu’à cette même heure, des gens vont commettre des actes répréhensibles et attendre paisiblement leur mise en examen et leur incarcération en attendant le jour de mort.

Un film comme The Chamber montre bien la psychologie d’un prisonnier qui vrai ou faux quant à la commission de ce qui lui est reproché, attend avec sérénité son tour sur la chaise électrique.

Si les lois pénales deviennent des promesses politiques, on risque de n’aboutir qu’à des apories ; qu’à des choses « ronflardes » et vides d’intérêt ou de portée ; or, les politiques législatives et les réformes attendues dans le milieu judiciaire, non pas à se vanter du nombre croissant des prisons construites et des détenus, mais de l’élimination du malaise qui sévit dans cet univers et de la prise en compte de l’aspect social et humain de la pénalité : rééduquer et redonner une chance de vie aux prisonniers.

Mais, pour y arriver, allons-nous encore demander à Rousseau ou à Hugo de nous rédiger des abrégés de techniques judicaires dans l’ère démocratique ?

Non.

Les éminents juristes, juges, philosophes et autres intellectuels réunis à Montréal, tendent vers un même objectif : replacer la philosophie au cœur de la loi pénale et redonner à la démocratie, sa vocation principielle : par le peuple, au service du peuple, pour le peuple.

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